BiBi : De la Pastèque au Vin

Il faut arrêter d’attendre des concours de la fonction publique. C’est bien d’avoir des rêves, mais c’est encore mieux de se donner les moyens de les réaliser. Il est très important d’apprendre à « sortir de sa zone de confort » et savoir que l’on peut « faire un tout avec un rien ».

Il y a encore quelques mois vous étiez une personne lambda, mais aujourd’hui vous faites la une des médias grâce à votre vin à base de pastèque. Alors si on doit parler de Martial Arnaud Bibi personnellement qu’est-ce qu’on doit dire ?

Martial BIBI est un jeune patriote, qui aime son pays et qui souhaite un développement économique fort du Cameroun, et cela passe par l’entrepreneuriat dans tous les domaines et secteurs d’activités. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer ce projet sur lequel je travaillais depuis plusieurs années, question de montrer à mes jeunes compatriotes que « le rêve camerounais c’est possible !!! » nous pouvons réussir dans notre pays sans rien envier aux occidentaux.

Durant votre cursus d’ingénieur en agroalimentaire à l’Institut Supérieur du Sahel (ISS) de Maroua, est-ce que vous pensiez déjà à vous lancer dans l’entrepreneuriat à la fin de vos études ?

Bien sûr que je pensais déjà me lancer dans l’entrepreneuriat. Premièrement par l’intermédiaire d’un de mes enseignants le Professeur DJOULDE DARMAN Roger, c’est lui qui m’a principalement éveillé l’esprit. En 2013, on ne parlait pas encore du made in Cameroun, mais lui chaque fois qu’il nous donnait cours il nous martelait l’esprit en disant « allez dans les supermarchés regardez ce que les camerounais font, c’est formidable inspirez-vous de cela ».  Aussi, la création du club entrepreneuriat jeune en 2015 à l’Université de Maroua. Je faisais partir du tout premier bureau de ce club où j’occupais le poste de secrétaire.

Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à mettre sur pied votre projet ?

L’élément déclencheur a été l’impasse de la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. En effet, j’occupais le poste de Directeur General dans une société agricole à Limbe depuis 2018 et la crise nous a fait abandonner un projet de plus de 200 hectares que je manageais après la localité d’Idenau. C’est ainsi  que mon salaire a chuté tout comme mes revenus, n’arrivant plus à supporter cette situation j’ai donc décidé de démissionner de mon poste pour lancer ce projet le 1er out 2020, car il me tenait à cœur depuis Octobre 2016.

Pour la production de votre vin, vous utilisez pour le moment du matériel rudimentaire. Alors combien de temps en moyenne mettez-vous pour avoir le produit fini, si on tient compte du moment de l’achat de la matière première, la fermentation et l’embouteillage ?

Quand toutes les étapes se passent bien et sans encombres, j’ai besoin d’environ 15 jours depuis l’achat des pastèques jusqu’à l’embouteillage. Mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Parfois le vin me dérange et tous les paramètres ne sont pas corrects alors cela peut prendre un temps supplémentaire de 7 jours voir 10 jours pour corriger les différents paramètres.  

Est-ce que les délais de livraison sont toujours respectés ?

NON ! C’est très difficile de respecter les délais vu que toutes les étapes du processus ne sont pas encore maitrisées à la perfection. Je continue de m’améliorer au quotidien, et de plus avec la pression de la demande qui est très supérieure à l’offre c’est vraiment mission impossible actuellement de respecter les délais de livraison.

Quel est votre circuit de distribution ?

J’ai principalement une boutique made in Cameroun qui distribue le vin, elle est situé à Yaoundé au quartier Essos, derrière la chapelle. A Douala il y a également une boutique situé au quartier Makèpè carrefour container. Pour le reste je reçois des commandes tous les jours et je livre autant que possible moi-même.

La pastèque qui est votre matière de base est un fruit saisonnier. Comment faites-vous pour ne pas être en rupture de stock ?

Tous les fruits sont saisonniers donc je ne pense pas que ce soit un problème. La pastèque a de nombreux avantages, son cycle de culture est très court 90 jours seulement et on le cultive aussi bien en contre saison. La seule différence c’est que son prix augmente en période de contre saison mais j’ai déjà une stratégie pour palier à cela.

Parlez-nous un peu de votre vin sur le plan du goût, des arômes et du taux d’alcool ?

Le vin est un vin blanc moelleux à 12% d’alcool, il a une assez bonne saveur fruitée de pastèque qui se dégage quand on le consomme, son alcool doux se ressent chaleureusement dans votre corps après consommation. Sur le plan du gout je travaille encore dessus question de le stabiliser et l’améliorer, mais cela sera plus facile à faire quand j’aurais un certain nombre d’équipements.

Pourquoi avoir choisi le nom « Bibi » pour votre vin ?

« Bibi » parce que c’est d’abord mon nom, ensuite c’est ma découverte ou invention, et aussi je souhaite donner tout mon amour à ce vin. Mais plus important encore j’ai été inspiré par le père « Kadji » qui a donné son nom à sa bière et aujourd’hui c’est une fierté nationale d’avoir la « kadji bière ».

À combien évaluez-vous l’investissement dont vous avez besoin pour industrialiser votre activité ?

C’est difficile à estimer actuellement car l’évaluation et la rédaction du business plan sont encore en cours… Toutefois, nous souhaitons procéder à un investissement en 02 grandes phases.

Une première phase qui consistera d’abord à trouver un local question d’installer notre unité de production, de se procurer en grande quantité les consommables pour la production (bouteilles, lièges, couvre lièges, etc…), acheter quelques machines pour réduire considérablement le temps de travail, augmenter les quantités de bouteilles produites, bref tout ceci pourra s’élever à environ 20 à 25 millions.

Ensuite la deuxième phase qui consistera à construire une usine moderne, avec des équipements de pointes pour une industrialisation à l’échelle internationale, tout ceci pourra probablement nécessiter un financement d’environ 300 à 500 millions.

Très souvent l’État et d’autres organismes internationaux font savoir qu’ils ont mis sur pied des programmes pour accompagner les jeunes porteurs de projet comme vous. On peut par exemple citer l’observatoire des jeunes qui est une plateforme sous la tutelle du ministère de la jeunesse et de l’éducation civique et bien d’autres encore. Est-ce que tu t’es déjà rapproché de l’un de ses programmes pour bénéficier d’un accompagnement pour l’extension de ton projet ?

Ce qu’il faudrait savoir c’est qu’en Août dernier, j’ai été lauréat du concours « fond prototypage » qui était sous le haut patronage du chef de l’Etat, et piloté par l’Agence des Petites et Moyennes Entreprises (APME). Ce concours avait pour but de primer les 20 meilleurs projets de l’année 2020 au Cameroun. Une enveloppe nous a été promise question de nous encourager à améliorer nos prototypes, depuis ce temps je travaille de commun accord avec l’APME. Par ailleurs, j’ai contacté le Programme Entrepreneuriat Agropastoral des Jeunes (PEA-Jeunes) dont je suis un ancien récipiendaire en 2016, pour m’aider à développer mon projet. Je compte me rapprocher de d’autres programmes comme le PAJER-U pour m’accompagner.

La plupart de jeunes entrepreneurs ont souvent recours à un financement participatif pour se lancer. Ça ne vous a jamais traversé l’esprit ou vous voulez garder la paternité exclusive de votre projet ?

Cela est bien évidement une option sur la table, car plusieurs personnes et cabinets m’ont approché dans ce sens. Personnellement cela ne pose pas un problème dans la mesure où je garde le contrôle sur mon projet.

Est-ce que ce n’est pas frustrant pour vous, de ne pas pouvoir trouver le financement pour un projet tel que le vôtre qui semble rentable, et qui pourra à l’occasion générer de nombreux emplois directs et indirects ?

Non ! Pas du tout frustrant, si j’ai pris autant de temps pour arriver à développer ce projet jusqu’à ce stade, pourquoi c’est maintenant que je viendrais être frustré ? Tout est une question de temps, je peux continuer à me développer tout seul et tout doucement comme j’ai commencé et je finirai par arriver où j’en ai envie, ou alors je peux m’associer pour développer le projet beaucoup plus rapidement, chacune des méthodes a des avantages et des inconvénients, c’est pourquoi je dois prendre le temps de bien analysé chacune des options qui s’offrent à moi.  

En tant que jeune entrepreneur, la fiscalité camerounaise telle que pratiquée est un frein ou un ami pour le déploiement de l’entreprise ?

Un frein se serait un bien gentil mot.  La fiscalité telle que pratiquée actuellement est un loup qui dévore les jeunes start-up comme la nôtre, c’est pourquoi notre tissu industrielle souffre autant à se développer. Je suis appelé à être un futur industriel mais quand je vois les taxes qui m’attendent en tant que start-up vraiment j’ai des frissons dans le dos. Notre Etat gagnerait à perdre en taxe au début, en laissant les start-up grandir et devenir des véritables industries pour mieux récupérer ces taxes plus tard lorsque l’entreprise marche bien, c’est ainsi que nous pourrions créer des emplois dans le secteur privé et booster la production locale.  

Depuis que vous faites la une des médias, comment votre entourage réagit à cette sucess story (la famille, vos camarades ingénieurs et vos amis) ?

Mon entourage me soutient, m’encourage et ne cesse de me féliciter depuis le début de ce projet. Beaucoup sont émerveillés et se sentent fiers de moi. Et pour moi c’est un privilège et une double source de motivation de se savoir autant apprécié par des proches et des inconnus.

Quel est votre business modèle pour les 5 prochaines années ?

Durant les 5 prochaines années, j’entends premièrement louer un bâtiment ou j’installerai mon usine, recruterai du personnel, semi industrialiserai la production et augmenterai considérablement ma production mensuelle de 500 bouteilles à 2000 bouteilles, ceci durant les 2 prochaines années.
Ensuite à partir de la 3ème année, je prévois acquérir du terrain où je construirai définitivement l’usine de la production du vin BiBi, tout en industrialisant et en automatisant entièrement la production avec des équipements et machines de pointe, qui nous permettront de passer à une production d’environ 1000 bouteilles par jour. Tout ceci pourra être possible en passant probablement par une ouverture du capital de la société. Ainsi je pense que l’entreprise sera suffisamment costaude pour distribuer son vin sur toute l’étendue du territoire national, dans la sous-région Afrique et même de s’attaquer aux marchés européens à travers l’exportation de son vin.

Un mot pour les jeunes entrepreneurs camerounais.

Je demande à tous les jeunes d’entreprendre chacun où il se trouve, selon son domaine de prédilection, car c’est la seule vraie issue pour une émergence du Cameroun. Il faut arrêter d’attendre des concours de la fonction publique. C’est bien d’avoir des rêves, mais c’est encore mieux de se donner les moyens de les réaliser. Il est très important d’apprendre à « sortir de sa zone de confort » et savoir que l’on peut « faire un tout avec un rien ».

Charles Binelli

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