Diplômée en biochimie, vous avez par la suite choisi de faire des études en audiovisuel et photographie. Pourquoi ce choix?
La biochimie était le choix de mes parents. Après y avoir passé 3 années, je sentis que je ne suis pas à ma place. J’ai un penchant pour les métiers de création. C’est comme ça que j’ai négocié auprès de mes parents pour faire l’audiovisuel et la photographie. Une envie d’écrire des histoires et d’immortaliser des instants.
Malgré les différentes orientations de vos études le soir, vous chantiez dans les cabarets de Yaoundé. Pourquoi ne vous êtes-vous pas consacrée uniquement à la musique dès le départ ?
Je n’étais qu’une enfant. Mes parents ne me l’auraient jamais permis. Et puis à ce moment là je n’avais pas la conviction de faire de la musique mon métier. Le discours que mes parents me tenaient au quotidien à savoir que la musique ne nourrit pas son homme et une femme musicienne sera toujours vu comme un objet de plaisir créait un grand doute dans ma tête malgré tout l’attachement que j’avais déjà pour la musique.
C’est en intégrant le « Korongo Jam » d’Eriki Aliana que vous vous faites remarquer. Que gardez-vous de cette expérience ?
Le Korongo Jam d’Erik Aliana, ça a été une étape décisive pour mon choix définitif à savoir faire de la musique mon métier. C’est en travaillant avec le Korongo Jam que j’ai commencé à me professionnaliser. A m’y donner à fond. La musique prenait ainsi possession de tout mon être. Elle devenait ma vie. Je ne pouvais plus m’en défaire. On répétait tous les jours. Et puis on a commencé à faire des scènes au Cameroun. Puis à l Étranger. Il n’y a plus de doute, j’ai choisi mon métier : LA MUSIQUE.
Qu’est ce que le prix découverte RFI a apporté à votre carrière ?
C’est le déclic. Avant cela j’étais choriste pour des musiciens et interprète au cabaret quelques soirs. Avec les découvertes RFI je me suis révélée, c’était le début d’une carrière solo.
Cela m’a ouvert les portes d’une production à l’internationale avec le label belge Contre jour. Et avec Contre jour, nous avons produit à ce jour deux albums et d’innombrables tournées à travers les scènes du monde.
La société est tellement formatée que la femme a vraiment du mal à s’imposer. Mais je crois en ces femmes fortes qui chaque jour brisent les règles.
Tout le mois de Mars nous mettons en avant la femme camerounaise sur notre site. Que pensez-vous de la journée de la femme ?
La femme est le socle de l’humanité. Je pense que c’est important, vu le rôle que la femme joue dans la société, de s’arrêter quelques fois et de lui rendre hommage. Je pense qu’au vu de la marginalisation qu’elle subit au travail et même dans les foyers, c’est important que la même femme se mette debout pour revendiquer ses droits.
Malheureusement dans nos sociétés aujourd’hui c’est une journée qui s’est totalement convertie à la jouissance . Balayant ainsi d’un revers de la main tout le combat mené par ces femmes ouvrières à l’origine du mouvement. Je pense qu’il faut commencer par informer la femme sur l’origine de cette journée qui lui est consacrée.
A travers votre parcours, on constate que vous vous êtes battue pour réaliser votre rêve comme le font plusieurs femmes pour subvenir à leurs besoins et ceux de leur foyer… Pensez-vous que la société camerounaise reconnaisse la femme à sa juste valeur ?
Même dans les sociétés dites plus démocratiques là, les femmes subissent encore des marginalisations. Chez nous au Cameroun, la tradition impose déjà à la femme d’être la seconde de l’homme. Ce qui a un impact direct dès le bas-âge. La petite fille à la maison fait la vaisselle, aide maman à la cuisine… On a tendance à orienter le petit garçon aux filières scientifiques. Si une famille n’a pas assez de moyen, elle va privilégier la scolarité du garçon au détriment de la fille. Maintenant dans les administrations, même si une femme est plus qualifiée, on lui demande toujours et encore plus pour avoir un poste de responsabilité. Il y a même des hommes qui ne supportent pas avoir pour chef une femme. La société est tellement formatée que la femme a vraiment du mal à s’imposer. Mais je crois en ces femmes fortes qui chaque jour brisent les règles.
Quel conseil donneriez-vous aux femmes camerounaises qui ont peur de rêver car le systeme actuel laisse peu de place au rêve, ainsi qu’à celles qui traversent une période de questionnement ?
Nous traversons déjà une ère difficile pour tout le monde. Celle-ci s’avère encore plus difficile pour la femme. Mais la femme a un pouvoir qu’elle ignore. Ces hommes là, c’est nous qui les portons dans nos ventres. C’est nous qui avons le pouvoir. Mais le pouvoir ne se donne pas, il s’arrache. Il faut croire en ses rêves et se donner tous les moyens pour y parvenir. Un échec est un apprentissage et le début d’une nouvelle aventure. C’est normal des périodes de questionnement, faut savoir marquer une pause pour mieux rebondir. Les femmes sont des magiciennes, avec rien elles font à manger à une famille. Pourquoi pas mettre ce savoir dans toutes nos entreprises ?
C’est important de savoir que chaque tribu doit se mettre au service de la Patrie.
En 2014 vous avez déclaré ceci : « Lorsqu’un enfant ne sait pas parler sa langue, il est perdu, il ne sait pas d’où il vient, il n’a pas un rapport clair avec sa tribu, son pays. C’est pour cela que beaucoup de jeunes aujourd’hui ont envie de partir parce que, ne sachant pas parler leurs langues, ils ne sentent pas d’attachement à cet endroit qu’est le Cameroun. » sur stephaniedongmon.blogspot. La faute revient à qui ? A l’enfant qui ne cherche pas à connaitre ses origines aux parents qui ne parlent pas leur dialecte ou vers la société qui se tourne de plus en plus vers l’occident et qui a tendance à rejeter sa propre culture ?
À chacun sa part de responsabilité. En premier, le gros responsable les parents. C’est à eux que revient le premier rôle de transmission. L’enfant subit. Ensuite la société tout entière. Nous sommes dans une société de rejet de la vérité et de l’identité. Qui sommes nous ? c’est la première chose qu’on devrait apprendre à un enfant dès le premier jour à la maternelle. Lui transmettre l’amour de la partie…
Vous dénoncez le tribalisme dans votre album. Pourquoi est-il nécessaire selon vous de conscientiser la population sur ce fléau ?
On est une nation pluriculturelle. Et la différence de l’autre n’est pas toujours accepté. C’est important de comprendre que la diversité est une force. C’est important de savoir que nous partageons la même terre et sommes obligés de vivre ensemble parce qu’on a pas décidé mais parce que Dieu a décidé ainsi. C’est important qu’au-delà des divisions, l’intérêt de la nation soit toujours prioritaire. C’est important de savoir que chaque tribu doit se mettre au service de la Patrie.
Vous avez le mot pour la fin…Quel message souhaitez-vous passer à la jeunessedumboa du Mboa qui nous lit ?
Je vous aime les jeunes du Mboa. Il faut être des guerriers. Ne jamais abandonner. Aucune révolution n’a été facile. Tous ces pays développés n’ont pas été construit par des extras-terrestres mais par des hommes comme nous qui ont décidé un matin, chacun à son niveau, de créer le changement. Parce que le changement c’est déjà de ne plus lancer un papier au sol mais dans une petite poubelle. Commençons le changement par de petits gestes.
Catherine Assogo & Kate Mouliom