Bonjour M. Muller Tenkeu Nandou. En 2014, avec des amis, vous avez créé la société Kemi Ecology et vous êtes donné le défi de transformer les ordures ménagères en charbon écologique pour lutter contre la déforestation et les changements climatiques. Quel a été le déclic et quel a été votre parcours pour réaliser ce projet ?
Le déclic a été la forte déforestation des mangroves de Douala pour le fumage du poisson et la cuisson des repas lors d’un stage d’écologie effectué dans cet écosystème fragile en 2011. On s’est donc donné pour défi d’apporter une solution alternative au bois de mangrove et au charbon de bois, nous avons donc mis en valeur nos connaissances pratiques, à la même période en 2012, nous rencontrons l’ONG Fondation Camerounaise de la Terre Vivante qui a financé notre formation en techniques de production du charbon écologique par les experts d’un centre de recherche très réputé dans le domaine au Cameroun ACREST (African Centre on Renewables Energies and Sustainables Technologies), dès janvier 2014. Voilà comment on s’est lancé après avoir été formé par FCTV via ACREST avec le micro-financement octroyé par FCTV dans le cadre du projet Low Carbon Energy. A Douala, on a donc crée l’entreprise KEMIT ECOLOGY qui est spécialisée dans la production de ce charbon écologique.
Très tôt, on s’est rendu compte qu’il en fallait assez pour une telle industrie, on s’est donc lancé dans la recherche des financements, c’est ainsi que quelques privés nous ont prêté de l’argent, nous avons construits des machines et nous sommes présents sur le marché. Cette présence a convaincu l’ETAT du CAMEROUN à travers le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation qui nous a octroyé une subvention à travers le contrat désendettement/programme d’appui à la recherche. Cette dotation nous a permis d’améliorer les machines acquises en 2015 sous financement privé et qui nous donnaient du fil à retordre pour faire les machines plus sophistiquées. Nous sommes passés de 2 tonnes par mois depuis 2015 à maintenant 15 tonnes par mois et nous poursuivons l’accroissement de la production sur le terrain.
Nous avons construits les machines industrielles 100% camerounaises […] Ces machines nous permettent déjà d’aller d’une production artisanale à une production sémi-industrielle et nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin.
Expliquez-nous le processus de transformation des ordures au charbon écologique ? où vous procurez-vous les ordures ?
Le processus de transformation se décline en cinq (05) étapes essentielles:
- la collecte de la matière première,
- le tri ou calibrage,
- le séchage,
- la pyrolyse ou carbonisation incomplète et
- la transformation en charbon fini.
On se procure les matières premières (ordures) dans les marchés et les quartiers populaires de la ville de Douala. Douala produit chaque jour près de 1500 tonnes d’ordures ménagères, près de 80% de ces ordures sont collectées et recyclées par l’entreprise en charge, les 20% restants sont collectées par les équipes de KEMIT ECOLOGY pour la transformation en charbon écologique.
D’où vous vient votre intérêt pour l’Ecologie ?
Je suis un passionné de l’environnement depuis ma naissance où j’ai grandi dans une zone péri-forestière dans le département de la Lékié, région du centre, ville d’Obala. Je me suis familiarisé avec cet écosystème particulier et c’est tout naturellement qu’à l’université, j’ai choisi la filière « écologie, biodiversité et environnement », aujourd’hui, j’y poursuis une thèse de Doctorat/Ph.D.
Sur le blog « Afrik Sans Faim » en 2015, un de vos collègues confiait les difficultés que vous rencontriez à l’époque : « le matériel que nous avons n’est pas sophistiqué, notamment notre compacteur. Nous avons aussi des problèmes de fonds de roulement. Mais, nous allons aller jusqu’au bout ». Avez-vous dès lors réussi à traverser ces difficultés ? Si oui, comment ?
Nous avons réussi à résoudre en partie le problème des équipements grâce au financement acquis du Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation du Gouvernement de la République du Cameroun à travers le contrat de désendettement, développement, projet d’appui à la recherche, où nous avons construits les machines industrielles 100% camerounaises. Quelques-unes sont d’ailleurs sujettes à un brevet d’invention. Ces machines nous permettent déjà d’aller d’une production artisanale à une production sémi-industrielle et nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin. Les besoins en fonds de roulement persistent car le charbon écologique n’est pas encore adopté sur le marché, nous y travaillons car c’est l’énergie de demain que nous offrons aujourd’hui et il n’est pas évident de changer les modes de consommation du jour au lendemain.
Pourriez-vous expliquer à nos jeunes lecteurs les conséquences néfastes de la déforestation au Cameroun, alors que le bois est l’une des ressources les plus exportées et qui contribue à l’essor économique de notre pays ?
Les conséquences néfastes de la déforestation au Cameroun sont: le bouleversement des calendriers agricoles qui crée un nouveau problème plus difficile à gérer pour le gouvernement, celui des réfugiés climatiques qui sont obligés de quitter les zones où il y’avait des arbres en permanence qui les produisaient les feuilles et les fruits pour leurs alimentation, les écorces pour leurs santé, pour des nouvelles zones où ils vont chercher à s’adapter avec les ressources en eau, en habitat en alimentation très difficilement accessibles, ce qui va créer une compétition intraspécifique pour ces ressources de base, source de tension sociale et voire même de guerre. Il y’a aussi que l’absence des arbres augmente les gaz à effet de serre dans l’atmosphère au Cameroun, car les feuilles des arbres ne peuvent plus les capter et les convertir en oxygène que nous respirons.
Les populations doivent arrêter d’encourager la consommation du bois et du charbon de bois, pour éviter la déforestation.
Pourquoi est-il urgent de trouver dès maintenant des solutions telles que la vôtre pour lutter contre les changements climatiques ? Quelles sont les signes déjà observables sur l’environnement camerounais ?
Il est urgent de migrer vers une transition énergétique en Afrique et au Cameroun plus particulièrement pour éviter la dépendance aux énergies fossiles qui se rarifient et deviennent de plus en plus chers. Un regard prospectif montre que dans une vingtaine d’années, la plupart des pays africains n’auront plus du bois et du charbon de bois, le gaz domestique sera très élevé pour la classe moyenne, il va falloir adopter ce genre de solution qui sera encore accessible pour le plus grand nombre.
Les signes observables sur l’environnement camerounais sont:
- le recul ou la presque disparition de la forêt et l’avancée de la savane avec des conséquences graves sur le dérèglement des saisons et donc bouleversement des calendriers agricoles et donc les problèmes graves de famine;
- la perte des espèces comme les singes, les piques bœufs qui migrent vers les écosystèmes aux conditions de vie meilleures,
- l’augmentation des inondations comme celles de Maga dans l’extrême nord du pays, dans les grandes métropoles comme Douala et Yaoundé, pertes des infrastructures, et des vies humaines.
A votre avis, que faut-il concrètement que le citoyen Camerounais fasse dès maintenant pour lutter contre le changement climatique ? D’ailleurs les actions seules de la population suffisent-ils ?
Les populations doivent arrêter d’encourager la consommation du bois et du charbon de bois, pour éviter la déforestation. Les actions seules de la population ne suffisent pas, il faut une implication sérieuse des pouvoirs publics pour élaborer les normes à respecter par tous pour sauver notre environnement.
La société Kemit Ecology recrute-t-elle ? Si oui, que faut-il faire pour rejoindre votre équipe ? Que peut-on souhaiter à Kemit Ecology ?
Pour l’instant, la société KEMIT ECOLOGY offre des stages de perfectionnement pour les professionnels, des stages de recherche et académiques. Les recrutements suivront au cours des prochains mois. Ce que l’on peut souhaiter à KEMIT ECOLOGY, c’est d’inonder le marché Camerounais et Africain du charbon écologique.
Où peut-on acheter les charbons écologiques de Kemit Ecology ?
Trois points de vente à Douala, Marché de bonamoussadi, marché PK 14, Bonapriso au lieu dit Ancien aéroport, nous faisons aussi des livraisons à domicile avec notre triporteur.
Enfin, quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes Camerounais ?
A l’heure où la majorité des ETATS s’accordent sur les Objectifs du Développement Durables (ODD) avec les financements verts qui arrivent, j’inviterai les jeunes à ce lancer massivement dans l’entrepreneuriat vert, qui est l’avenir de la planète.
Réalisé par Kate Mouliom