DEVENIR ENSEIGNANT AU CAMEROUN : Le parcours vers l’Enfer ?

De nombreuses décennies à supporter et à se mourir en silence, aujourd’hui ils ont décidé de protester pacifiquement. Seuls le son et l’impact de leur lourd silence retentissent.

Depuis le 21 février dernier, les enseignants de l’éducation secondaire sont au centre de toutes les attentions au Cameroun. En effet, ils expriment leur mécontentement à travers un mouvement de grève qu’ils observent depuis cette date. Initiée et impulsée par le Mouvement « On a Trop Supporté» (OTS) qui représente un collectif d’enseignants, ils revendiquent entre autres des meilleures conditions de travail et réclament le payement de leurs salaires, avancements et autres. Fort de cette situation JDM a entrepris de réaliser une série de trois articles chronologiques sur les questions relatives à l’éducation au Cameroun. Ceci dit, le présent article, premier du genre permet de se pencher sur les étapes qui précèdent l’exercice du métier d’Enseignant au Cameroun. Comment devenir enseignant ? Est la problématique à laquelle se donne de répondre ce premier article. Le second quant à lui reviendra sur la délicate question de la crise des enseignants. Mais avant, il est question de découvrir ensemble par quoi des personnes ordinaires passent au préalable, que l’on soit au supérieur, au secondaire, au primaire et à la maternelle avant de devenir maîtres de la craie. 

Seuls les enseignants d’Universités accèdent à la profession par le biais d’un recrutement direct qui s’effectue sous étude de dossiers. Qu’il s’agisse de l’enseignement général ou de l’enseignement technique, 3 à 5 années d’études selon les cas, après l’obtention du concours attendent les futurs enseignants des Écoles secondaires. Les instituteurs quant à eux doivent suivre, après l’obtention du concours, une formation s’étendant sur 1, 2 ou 3 ans.

Au Cameroun, l’éducation est du ressort de quatre Ministères à savoir : le Ministère de l’Éducation de Base (MINEDUB) chargé de l’enseignement maternel et primaire; du Ministère de l’Enseignement Secondaire (MINESEC) qui s’occupe de l’enseignement secondaire (général et technique), l’Enseignement Normal Technique (ENIET), ainsi que de l’enseignement Normal Général (ENIEG) ; du Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (MINEFOP) chargé de l’enseignement post-primaire et de la formation professionnelle et enfin du Ministère de l’Enseignement Supérieur ( MINESUP)  auquel incombe les responsabilités de l’enseignement supérieur et post-secondaire. 

Ici, le système éducatif formel est constitué du sous-système francophone et du sous-système anglophone. Chacun de ces sous-systèmes a pour composant 5 niveaux d’enseignement à savoir le préscolaire, le primaire, le post-primaire, le secondaire et le normal. Par ailleurs, chaque sous-système y compris l’enseignement supérieur est composé de l’enseignement public et de l’enseignement privé à son tour constitué du privé Laïc et du privé confessionnel (catholique, protestant et islamique). Les acteurs du système éducatif formel sont principalement les enseignants et les apprenants placés sous la responsabilité des premiers. Ceci dit, dans cet article, il sera question de se pencher sur le métier d’enseignant au Cameroun. 

Devenir enseignant d’Université : le recrutement,  la clé. 

Le recrutement 

L’une des principales conditions régissant l’accès au poste d’enseignant dans les Universités Publiques au Cameroun exige du candidat d’être titulaire d’au moins un Doctorat ou d’un PHD (BAC+8) obtenu au Cameroun ou à l’étranger. Néanmoins des recrutements à titre exceptionnel des titulaires de Master II, inscrits en thèse sont parfois effectués lorsque  le besoin en assistants se fait très urgent. Par ailleurs, un arrêté du MINESUP signé le 16 novembre 2010 fixant le cadre et l’Habilitation à Dispenser des Enseignements Professionnels ou Technologiques (HDPT) dans les Institutions Privées et Publiques de l’Enseignement Supérieur, décernait justement ce titre universitaire aux capitaines d’industries, technologues chevronnés à l’expérience avérée et sur la base de leurs compétences, afin de leur permettre de dispenser leur savoir-faire dans les amphis et laboratoires de recherche des Universités. Ceci dit, l’enseignant d’université en plus d’être un enseignant est un chercheur qui perpétuellement contribue à la progression des connaissances dans sa spécialité.

 Le dernier recrutement spécial de ces enseignants du supérieur qu’a connu le Cameroun l’était sous l’impulsion du Chef de l’État et placé sous la coordination du MINESUP. En effet, le 13 novembre 2018, le Chef de l’État avait ordonné, le recrutement sur une période de trois ans (de 2018 à 2021), de 2.000 enseignants devant renforcer les effectifs des enseignants dans les universités, car on y observe un important déficit. Il s’agit par ordre hiérarchique des grades de Professeur, Maître de Conférences, Chargés de Cour et Assistants. 

La rémunération 

Le revenu moyen d’un enseignant d’Université s’élève au minimum à 350.000 Frcs CFA par mois ; à ceci, l’on peut rajouter les primes trimestrielles allant de 385.000 Frcs CFA à 1.060.000 Frcs CFA dépendamment du grade du concerné. 

En outre, les enseignants d’Universités publiques sont en majorité ceux qui dispensent également des cours dans les Instituts Privés d’Enseignement Supérieur (IPES) et d’autres instituts privés confessionnels. Même si ici des technologues et professionnels de métiers spécifiques sont davantage recrutés. 

Devenir Enseignant des lycées : l’ENS, l’ENSET et l’INJS les principales portes d’entrées. 

Le concours

Les futurs enseignants des lycées d’enseignement général doivent obligatoirement être admis au concours d’entrée à l’une des quatre École Normale Supérieure (ENS) que compte le Cameroun. Quant à celui qui souhaite exercer dans l’enseignement secondaire technique, il doit également être admis au concours d’entrée de l’une des quatre École Normale Supérieure d’Enseignement Technique (ENSET) reparties sur le territoire national. Jusqu’au 9 mars dernier, ces concours étaient du ressort du Minesup placé sous la supervision du Premier Ministère, cependant des mesures en cours d’implémentation les placeraient désormais sous la responsabilité du Minesup en collaboration avec le Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative (MINFOPRA), ceci afin de favoriser et faciliter le processus de prise en charge des lauréats. En réalité, il existe deux concours d’entrée dans ces écoles correspondants au premier et au second cycle. 

Préparant aux métiers du sport et de l’animation, l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS) est un établissement public d’enseignement supérieur. Le premier cycle est accessible aux personnes titulaires d’un baccalauréat ou GCE A/L tandis que le second cycle l’est aux détenteurs d’une licence quelconque. Le troisième cycle quant à lui est réservé aux lauréats du second cycle ayant plus de 4 ans d’expérience sur le terrain. Du ressort du Minfopra, ce concours est ouvert à toutes les filières. Par ailleurs, il est important de noter que les différents cycles du concours sont également accessibles aux candidats internes à savoir les fonctionnaires. 

La formation

 Destinée aux personnes titulaires d’un baccalauréat, la formation du premier cycle s’étend sur trois ans jusqu’à l’obtention d’un DIPES 1 (Diplôme de Professeur de l’Enseignement Secondaire premier grade) à L’ENS et d’un DIPET 1 (Diplôme de Professeur de l’Enseignement Technique de premier grade) à l’ENSET. Une fois ce diplôme obtenu le lauréat, si et seulement si, titulaire d’une licence peut décider de poursuivre ses études afin d’obtenir un DIPES 2 au bout de deux années supplémentaires pour le cas des ENS. L’étudiant qui se présente au concours du second cycle doit de prime abord être titulaire d’une licence en la discipline concernée. Rendu à ce niveau, sa formation durera 2 ans. Une fois admis par ordre de mérite, les étudiants suivent une formation théorique mais aussi pédagogique et didactique. Les évaluations quant à elles sont théoriques et pratiques. L’évaluation pratique spécifiquement consiste à effectuer un stage dans un établissement public afin de confronter les notions apprises pendant les enseignements aux réalités du terrain. 

À l’INJS, les candidats au premier cycle doivent être titulaires d’un baccalauréat ou d’un GCE A/L. Au bout de trois années de formation pour les candidats externes et de deux pour les candidats internes (les fonctionnaires), la formation leur donne respectivement droit à un CAPEPS 1 (Certificat d’Aptitude au Professorat d’Éducation Physique et Sportive) et un DCJA (Diplôme de Conseiller de Jeunesse et d’Animation). Les premiers obtiennent ainsi le titre de Professeurs Adjoints d’Éducation Physique et Sportive (PAEPS). Par ailleurs, les étudiants du second cycle munis d’une licence obtiennent quant à eux, après trois années de formation pour les candidats externes et deux pour les fonctionnaires un CAPEPS 2 et un DCPJA (Diplôme de Conseiller Principal de Jeunesse et d’Animation). Ceux-ci sont appelés des Professeurs d’Éducation Physique et Sportive (PEPS). Fortement tributaire des précédentes formations, les étudiants du troisième cycle obtiennent au terme de leur formation un Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées (DESS). Ici, les étudiants suivent une formation constituée d’enseignements  théoriques, de recherches appliquées et fondamentales, formation également ponctuée de phases de stage sur le terrain. 

Les affectations et la prise de service

 Au terme de la formation, le lauréat de l’ENS est appelé à constituer deux dossiers ; il s’agit d’un dossier de prise en charge destiné à l’obtention du 2/3 du salaire pouvant aboutir au bout de 6 à 12 mois ; ainsi que le dossier d’intégration à la fonction publique devant aboutir au décret d’intégration à la fonction publique au bout de 12 à 36 mois. Par la suite, entre en jeu la délicate question des affectations des lauréats basés sur divers facteurs tels que la capacité de réception des régions, le niveau scolaire des élèves d’une région précise, le classement par ordre de mérite des lauréats, qui laisse croire que les meilleurs ont la possibilité d’être affectés dans leurs régions de préférence, etc. 

 Le désormais enseignant dans l’attente de l’aboutissement de ses dossiers de prise en charge et d’intégration exerce sans salaire. Dans certains cas, le chef de l’établissement dans lequel il est affecté peut lui apporter un soutien minimal. Dans le cas contraire, l’enseignant ayant nouvellement pris fonction se démerde à faire aboutir ses dossiers et à vivre quotidiennement. 

La rémunération 

Au terme de la formation, les titulaires du DIPES 1 et du DIPET 1 sont respectivement des Professeurs des Collèges d’Enseignement Général (PCEG) et des Professeurs des Collèges d’Enseignement Technique (PCET), dont la rémunération dans la catégorie A1 s’élève à 219.538 Frcs CFA au début de sa carrière. Tandis que les titulaires d’un DIPES 2 et DIPET 2 sont des Professeurs des Lycées d’Enseignements Général (PLEG) et des Professeurs des Lycées d’Enseignement Technique (PLET). Pour ces derniers appartenant à la catégorie A2, la rémunération de départ oscille autour de 226.446 Frcs CFA. 

Les enseignants de collèges ou d’établissements scolaires secondaires sont des enseignants de lycée y exerçant en tant que vacataires ou des étudiants diplômés issus d’universités publiques.

Devenir instituteur : le parcours des maîtres et maîtresses.  

Le concours et la formation 

De prime abord, il est question d’obtenir par voie de concours un CAPIEMP (Certificat d’Aptitude Professionnel des Instituteurs de l’Enseignement Maternel et Primaire) ou un CAPIET (Certificat d’Aptitude Professionnel des Instituteurs de l’Enseignement Technique). Les premiers se forment dans les ENIEG (École Normale d’Instituteurs d’Enseignement Général)  et les seconds dans les ENIET (École Normale d’Instituteurs d’Enseignement Technique). L’accès à ces ordres d’enseignement est réservé aux jeunes camerounais détenteurs d’un  BEPC ou GCE O Level pour l’entrée en première année, d’un Probatoire de l’enseignement général toutes séries ou d’un GCE A/L pour l’entrée en deuxième année et d’un baccalauréat de l’enseignement général toutes séries ou d’un GCE A/L pour l’entrée en troisième année. 

La formation pour les premières années dure 3 ans, celle des élèves de deuxième année deux ans et celle des élèves de troisième année un an. Leur formation est élaborée selon l’approche par compétence et intègre des cours méthodologiques et didactiques. Par ailleurs divers aspects pratiques ponctuent la formation à l’instar des simulations, stages pratiques, activités pratiques et diverses études de cas. Au terme de la formation, les élèves sont appelés à produire un document de recherche qui fera l’objet d’une soutenance publique. 

Les Maîtres Principaux d’Éducation Physique et Sportive (MPEPS) et Maîtres d’Éducation Physique et Sportive (MEPS) sont formés dans les Centres Nationaux de la Jeunesse et des Sports (CENAJES). Sous la supervision du Minfopra, ce concours vise le recrutement de jeunes titulaires de Probatoire ou du GCE O/L et GCE A/L toutes séries confondues pour les MEPS. Pour l’admission au cycle des Instructeurs Adjoints de Jeunesse et d’Animation, ceux des candidats externes doivent être titulaire d’un BEPC ou GCE O/L. 

La post-formation et la rémunération 

Une fois la formation terminée, les lauréats sont dans l’attente du test de sélection des instituteurs de la maternelle et du primaire que supervisent conjointement le Minedub et le Minfopra, qu’ils présentent afin d’espérer, si admis d’avoir accès à la fonction publique, être intégré et affecté dans une « école nécessiteuse ». Si non, des demandes spontanées  d’emploi sont par eux déposées dans des écoles primaires privées afin d’espérer un quelconque recrutement.  Les instituteurs intégrés dans la fonction publique reçoivent une rémunération oscillant autour de 120.000 Frcs CFA. Tandis que ceux recrutés par des écoles privées sont payés au gré de leurs employeurs.  Les maîtres de sports quant à eux débutent leurs carrières sur la base de 180.000 Frcs de salaire. 

Au Cameroun, l’on note dans l’ensemble du domaine de l’éducation un déficit important d’enseignants. Bien que des concours soient chaque année impulsés, le nombre de places disponibles représentent un facteur dissuasif pour de milliers de candidats potentiels. Par ailleurs, même quand ceux-ci sont admis et achèvent la formation, la prise en charge n’est pas toujours immédiate, ce qui constitue une réelle frustration pour ces maîtres de la craie. De l’enseignement maternel à l’enseignement supérieur, tous ces corps sont gangrenés par de nombreux problèmes lesquels affectent autant les apprenants que les enseignants.  En effet, le mouvement de grève observé par les enseignants depuis plusieurs semaines déjà est un corollaire de cet ensemble de frustrations qu’ils subissent. De nombreuses décennies à supporter et à se mourir en silence, aujourd’hui ils ont décidé de protester pacifiquement. Seuls le son et l’impact de leur lourd silence retentissent. 

Danielle Nganou 

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