Le viol , ce tueur silencieux

 Il est temps que les consciences se réveillent face à ce tueur silencieux qu'est le viol, qui gangrène la vie de millions de personnes dans notre pays, car violer une personne, c'est porter atteinte à sa dignité. Contraindre une victime à garder le silence sous des menaces, c'est une atteinte à sa vie, à sa liberté et à sa sûreté.

Didier a 13 ans. 13 ans, l’âge de la puberté ; l’âge des changements physiologiques et hormonaux ; l’âge de la croissance physique ; l’âge auquel les enfants apprennent à se connaître et à maîtriser leurs corps. Oui, à 13 ans on n’est encore qu’un enfant.  Orphelin de père, Didier vit avec sa mère qui n’a pas les moyens de l’envoyer à l’école. Il est sous l’entière responsabilité de son oncle, tonton Moni. Un beau jour, tonton Moni se dit qu’étant celui qui s’occupe entièrement du bien-être de Didier et de sa maman, il a également le droit de disposer de leurs corps comme il veut. Les viols répétés ont commencé sur la mère à toute heure du jour et de la nuit, quand l’envie lui prenait. Puis il s’est dit : « Pourquoi ne pas faire un deux en un » ? Ce fut au tour de Didier de subir ce calvaire. Quand tonton Moni était « gentil » il violait le petit garçon en aparté dans la chambre, pendant que sa maman ne pouvait que verser des larmes d’impuissance au salon. Mais des fois il les violait tous les deux, les prenant à tour de rôle en murmurant « c’est moi qui paye ». La maman de Didier ne supporta pas plus longtemps, elle préféra se donner la mort, laissant son fils en pâture à ce bourreau.
À 18 maisons exactement de celle de Didier, dans le même quartier, on peut entendre des pleurs s’élever très haut dans le ciel. C’est la petite Nina, 10 ans qui se fait sérieusement tabasser par sa maman. Mais qu’a pu faire Nina pour mériter un tel supplice ? Sans aucune honte, la maman explique qu’elle a surpris sa fille de 10 ans en train de « faire l’amour » avec son copain à elle. Qu’elle se rend compte que sa fille est sa coépouse dans la maison. Après avoir tiré l’enfant des mains de sa mère, elle explique sa version des faits : cela faisait deux ans qu’elle se faisait menacer par le copain de sa mère qui a commencé à la violer à l’âge de 8 ans, chaque fois que sa mère sortait pour aller vendre ses beignets. Elle n’a jamais osé dire à sa mère car il y avait toujours un couteau au dessus de sa tête. Et cette dernière les ayant surpris ce matin, a préféré la battre elle, au lieu de s’en prendre à son copain qu’elle veut protéger par amour.

           

Des histoires comme celles-là, on en entend de plus en plus de nos jours. Certaines qui sont médiatisées dans les rubriques faits divers et ne sont qu’une infime partie visible de l’iceberg. Ce que Didier et Nina traversent, des milliers d’autres jeunes et moins jeunes le connaissent, l’ont connu ou encore le connaîtront un jour car le viol est loin d’être effacé de notre société. Surtout avec cette nouvelle tendance qui consiste à protéger le bourreau et à museler la victime.

           

Qu’est ce que  le viol ?

 Véritable bafouement de la dignité humaine et mépris des droits de l’homme, le viol demeure pourtant un sujet tabou de nos jours. N’ayant pas de définition universellement arrêtée, le viol se définit de différentes manières selon les juridictions de chaque pays.

  • Dans certaines juridictions l’on dira que le viol est la pénétration de l’anus ou du vagin par un pénis (toutefois, l’on note une certaine subjectivité dans cette définition qui ne prend en compte que le viol des femmes par des hommes).
  • Dans d’autres juridictions l’on dira qu’il ne faut pas forcément une pénétration d’un pénis pour parler de viol. Un doigt ou un jouet sexuel suffit pour parler de viol, etc.

Mais pour revenir à notre contexte, le viol est défini dans le code pénal camerounais comme un acte sexuel de quelque nature qu’il soit commis sur la personne d’autrui par violence, surprise ou contrainte.

 Image associéeLe viol fait des ravages, mais le silence auquel les victimes sont contraintes les tue. La honte d’en parler, le manque de soutien des familles, la mauvaise prise en charge des victimes dans les hôpitaux et les commissariats, le manque d’infrastructures sont autant d’éléments qui conduisent les victimes à un retranchement sur elles-mêmes car elles se sentent seules et incomprises et des fois préfèrent se donner la mort.

 La prise en charge des victimes

À l’hôpital :

Résultat de recherche d'images pour "hopital"Au-delà de tout autre soutien qu’on peut lui apporter, une victime de viol a tout d’abord besoin d’être écoutée et non jugée. Sur 10 cas reçus l’année dernière dans le cadre de nos activités, nous avons personnellement accompagné deux  victimes dans les hôpitaux pour des examens et une éventuelle prise en charge psychologique. Deux nous ont avoué y être allées, mais n’ont pas pu y retourner car elles ne s’y sentaient pas en sécurité.  Quatre  n’y étaient pas allées du tout, faute de moyens et deux  n’y étaient pas allées par ignorance.

Pourquoi ne s’y sentent-elles pas en sécurité?

Nous allons répondre à cette question en évoquant l’exemple de l’une d’entre elles. Accompagnée par sa sœur après avoir été violée, Célia, âgée de 18 ans est introduite dans la salle d’accueil où des infirmières sont chargées de prendre ses paramètres.

Anéantie par ce qui vient de lui arriver, Célia est incapable de parler et ne cesse de pleurer. Les infirmières s’impatientent et la pressent de parler car elle leur perd du temps. La sœur leur explique que Célia a été violée et elles se mettent à rire. Elles se moquent en se demandant comment il était possible de violer une vieille fille comme elle ? Elles appuient leurs dires en affirmant qu’elles « ont souvent des cas comme ça » et que ces filles mentent la plupart du temps pour se protéger elles-mêmes et cacher leur désir de sexe car elles sont souvent consentantes au départ, même si elles viennent à regretter après.

Une victime de viol a tout d’abord besoin d’être écoutée et non jugée

Célia sort du bureau en courant et refuse d’y remettre les pieds. Conséquence? Célia s’est refermée encore plus sur elle. Elle n’a plus eu confiance en qui que ce soit. Impossible de lui faire faire des examens pour avoir un bilan de sa santé après ce viol. Au moment où nous la rencontrions, elle nous avouait avoir essayé de se donner la mort, tellement elle se sentait incomprise, même dans sa famille où ses parents refusaient de croire en son innocence et l’obligeaient à ne pas ébruiter l’affaire pour ne pas jeter l’opprobre sur la famille.

 

À la maison

 Un peu plus de 70% des cas de viol rencontrés sont des viols intra-familiaux ou viols domestiques, c’est-à-dire commis par un proche de la victime. L’impact est très souvent plus considérable car la victime doit faire face à des menaces continues et supporter la présence de son bourreau. Il s’agit souvent d’un père qui a violé sa fille / son fils, d’un oncle, d’un frère, d’un tuteur, etc.

Dans le cas du père violeur, il est souvent question de préserver l’équilibre et le bien-être de la famille. La mère, qui ne travaille pas a peur de se retrouver à la rue si jamais elle décide de soutenir son enfant-victime. L’enfant étant une proie plus facile à dompter, elle lui interdit d’en parler à qui que ce soit sinon « elle va le renier » ou encore « on ne te payera plus tes frais de scolarité ».

 tu es encore petit, tu vas oublier ça. Ne dit jamais à personne 

 

Des fois, une véritable atteinte à la vie de la victime traduite par des menaces de mort est observée. C’est le cas de Jean-Paul, élève en classe de première rencontré il y a quatre ans lors d’une campagne de sensibilisation dans son lycée. Après nos échanges avec les élèves, il nous avait contacté via sms (n’ayant pas eu le courage de nous parler en face) pour nous raconter son calvaire.

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 Depuis ses 12 ans, il était violé par son oncle qui s’occupait de lui et de sa maman. Au départ, l’oncle le menaçait de tuer sa mère et de le tuer si jamais il en parlait. Étant orphelin de père et fils unique, il comprenait déjà la responsabilité qui pesait sur lui. Il voulait protéger sa mère. Alors, il ne disait rien. Il supportait en silence. Pourtant, même après que la mère ait découvert les agissements de son beau-frère, elle n’a pas pu rendre à son fils ce qu’il lui avait donné depuis temps d’années : la protection. Sous les menaces du tonton qui voulait enlever la cuillère en or de la bouche de la petite famille si jamais l’affaire était connue de qui que ce soit, la maman disait à son fils « tu es encore petit, tu vas oublier ça. Ne dit jamais à personne ». Jean-Paul aime sa mère. Il ne veut pas se retrouver seul. Il s’est retenu jusqu’au jour de notre rencontre. Autre aspect du problème, Jean-Paul a commencé à développer des tendances homosexuelles. Mais au Cameroun, l’homosexualité est condamnée. Sa maman le traite de tous les noms d’oiseaux et ne manque pas une occasion de lui rappeler comment son Dieu l’enverra droit dans la géhenne. Comme Célia, Jean-Paul a pensé à se suicider pour se libérer de tous ces fardeaux trop lourds à porter pour lui.

 

Au commissariat

Selon certains chiffres émanant d’une étude de la coopération allemande GIZ (2009), 5% de violeurs seulement sont punis par la justice. Ceci est dû à 3 raisons fondamentales selon nous:

  • – Les victimes ont peur de l’agresseur (car le connaissant) et ont peur des représailles et donc, ne portent pas plainte ;
  • – Les victimes ne connaissant pas leurs droits et ne savent pas qu’elles peuvent porter plainte ;
  • – Les victimes portent plainte, le violeur est entendu puis écroué derrière les barreaux. Mais il est  libre dès le lendemain car le poids de ses poches aurait pesé plus que celui de sa bouche.

            Au-delà de tout ceci, la prise en charge souvent faite lors du dépôt des plaintes laisse à désirer. La faute est souvent rejetée sur la victime avec des phrases telles que « comment étais-tu même habillée ce jour-là? », « tu es sûre que ce n’est pas toi qui a provoqué? », « Qui t’a dit de sortir seule si tard? ».

 Les cas énoncés ici à l’hôpital, à la maison ou au commissariat sont loin d’être des généralités car il existe effectivement des infirmiers et médecins qui font consciencieusement leur travail et sont à l’écoute des victimes ; des parents qui protègent leurs enfants becs et ongles et des agents de police qui savent écouter les victimes lors des dépôts des plaintes et les accompagner tout au long des enquêtes. Toutefois ce qui a été énoncé ici aura beau être qualifié de faits isolés, ces cas ont bel et bien été vécus. Il serait judicieux de multiplier les campagnes de sensibilisation des familles sur l’impact négatif que peut avoir le viol dans la vie d’une personne. Il faudrait également offrir des formations adéquates aux personnels des forces de l’ordre et de santé pour améliorer la prise en charge des victimes car nous le disions plus haut, savoir accueillir et écouter une victime de viol est une étape primordiale de son processus de « guérison ». Et aussi, implanter dans chaque hôpital un centre d’accueil et de suivi des victimes de viol pour une prise en charge effective, comme cela est déjà fait pour le VIH par exemple.

Résultat de recherche d'images pour "viol" Il est temps que les consciences se réveillent face à ce tueur silencieux qu’est le viol, qui gangrène la vie de millions de personnes dans notre pays, car violer une personne, c’est porter atteinte à sa dignité. Contraindre une victime à garder le silence sous des menaces, c’est une atteinte à sa vie, à sa liberté et à sa sûreté. Il va de soi qu’il n’y a plus de démocratie quand il s’agit de captivité, qu’elle soit physique ou psychologique. Il n’y a plus de droits si les règles qui régissent les rapports dans la société ne sont pas respectées. À ceux qui n’ont de cesse de dire que le viol n’existe pas car la victime est toujours consentante ou encore qu’ils ne se sentent pas concernés, on ne peut pas trop leur en vouloir car comme le dit la célèbre chanson « ça n’arrive qu’aux autres, on ne réalise pas tant que ça ne nous touche pas ». Cependant, ayons toujours cette citation de Mikhaïl Bakounine à l’esprit :

L’oppression d’un peuple ou même d’un simple individu est l’oppression de tous et l’on ne peut violer la liberté d’un seul sans violer la liberté de chacun. 

 Fondatrice de l’association SAVAS (Soutien Aux Victimes d’Agressions Sexuelles

 

 

Tout en mettant des actions en oeuvre pour l’éducation de tous face à ce fléau, ne cessons guère de nous dire que le viol est réellement une affaire de tous.

 

 

 

 

  Francine NGO IBOUM
* les prénoms cités sont des prénoms d’emprunt 

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