JACQUES LAGRÂCE BESSALA : PSYCHOTHÉRAPEUTHE. « La jeunesse est totalement ignorante de la santé mentale.».

la santé mentale n’est pas la maladie mais un état de bien-être général qui permet à un être humain d’exprimer ou de réaliser tout son potentiel physique, intellectuel, affectif, spirituel et de faire face aux défis et difficultés normales de la vie.

Spécialiste des relations conjugales et familiales, sa proximité, eu égard de son lieu de travail, avec des personnes vivant avec un handicap offrira à nos lecteurs une autre vision au sujet de la santé mentale. Préoccupé par ces questions de santé mentale, JDM l’a rencontré pour ses lecteurs. 
  1. Qui est Jacques Lagrâce Bessala ?

Jacques Lagrâce BESSALA est camerounais, chrétien catholique marié et père d’enfants. Il est psychothérapeute parce qu’il soigne et soulage, depuis plus d’une vingtaine d’années, les souffrances humaines par le biais de la psychologie, c’est-à-dire des moyens et méthodes de traitement psychologique non médicamenteux qu’on appelle psychothérapies. Diplômé en Psychopathologie Clinique, il est spécialiste des relations conjugales et familiales. Psychologue au Centre National de Réhabilitation des Personnes Handicapées Cardinal Paul Émile Léger (CNRPH), il est auteur de 04 ouvrages à savoir Mariage et vie de couple aujourd’hui (2010) – Chant d’Espoir, sortir du stress, de la peur et du découragement (2013) – L’amour dans ses divers langages… (2016) et  Réussir l’éducation de ses enfants (2017). Par ailleurs membre de la commission diocésaine chargée du suivi des couples, familles et personnes en détresse depuis 2016, il participe à la formation et à l’accompagnement des couples au sein de l’Église catholique. Il est promoteur et coordonnateur de la structure associative Nouvelle Dynamique d’Assistance à la Famille (NODAF), créée en 2006 à Yaoundé dont la mission principale est la prise en charge psychologique des couples et personnes en difficultés. 

En quoi consiste exactement votre métier de psychologue ? Vis-à-vis des patients du Centre National de Réhabilitation des Personnes Handicapées ? Vis-à-vis des patients particuliers ? 

Comme psychothérapeute ou psychologue, notre mission au CNRPH est d’accompagner et de soigner à l’aide des psychothérapies, c’est-à-dire des techniques de traitement non médicamenteux, les personnes en situation de handicap et leur famille.  Le handicap survient chez un être humain avec un cortège de souffrances et de problèmes, ce qui affecte gravement sa santé mentale. Ceci dit, en plus de ses capacités physiques et motrices qui sont affectées, la personne victime du handicap entraîne une souffrance et une détresse que peu de gens remarquent. Alors, pendant que le corps médical et ses associés gèrent le côté physique et moteur, les psychologues s’occupent de l’état d’esprit, c’est-à-dire de l’intérieur de l’être envahi par la détresse. De manière concrète, notre rôle au CNRPH est de relever l’être intérieur et de soulager ses souffrances par une écoute empathique, le counseling et par bien d’autres moyens techniques psychothérapeutiques. Nous le faisons aussi pour tous ceux qui nous sollicitent de l’extérieur et qui portent des souffrances de vie affective, conjugale, familiale, professionnelle, etc.

Qu’est-ce qui peut pousser une personne à faire recours aux services d’un psychologue ? 

En peu de mots, c’est le mal-être intérieur qui pousse à la consultation psychologique et il n’y a aucune honte à faire cette démarche. En fait, toute personne qui se sent mal au fond d’elle-même, qui manque de joie ou qui a perdu le goût à la vie peut ou devrait solliciter les services d’un psychologue car la psychologie recherche d’abord le bien-être et promeut la vie, une vie de qualité. Le commun des mortels doit savoir qu’ils existent plusieurs signes qui montrent qu’on n’est plus en bonne santé mentale et qu’on devrait faire recours à un spécialiste de la santé mentale. Au titre de ces signes, l’on pourrait ressortir: 

–  Quand notre capacité à aimer ou à nous faire aimer est affectée ;

– Quand notre capacité à travailler est affectée ;

– Quand notre capacité à être en relation harmonieuse avec nous-même et avec les autres est affectée ;

– Quand nous souffrons assez ou causons beaucoup de souffrances aux autres, etc.

Voilà présentés quelques éléments qui devraient sonner l’alarme et susciter la consultation, même si physiquement tout semble régulier. Par ailleurs, il serait important de signaler que nous avons tous des problèmes psychologiques pour lesquels nous devons consulter un psychologue (à ne pas confondre avec le psychiatre qui, lui, est un médecin spécialisé dans l’étude et le traitement des maladies mentales). N’attendons pas que ces problèmes psychologiques deviennent des problèmes ou des troubles mentaux pour consulter.

Quelle image les camerounais ont-ils de la prise en charge psychologique ? considèrent-ils encore les maladies liées à la santé mentale comme étant l’apanage des sociétés occidentales ? 

Au départ, beaucoup de camerounais ignorent que santé mentale ne signifie pas maladie mentale comme maladie mentale ne renvoie pas tout de suite à la folie, encore que le terme folie est un terme ordurier qui ne désigne pas le nom d’une maladie. Les camerounais confondent la prise en charge psychologique avec la prise en charge psychiatrique comme ils confondent la psychologie avec la psychiatrie ou le psychologue avec le psychiatre.

D’autres voient les consultations ou thérapies psychologiques effectivement comme un luxe réservé aux sociétés occidentales or tous les problèmes qui déchirent nos foyers et familles aujourd’hui et poussent à la drogue, à l’alcoolisme ou à la violence et j’en oublie, ont des solutions en psychologie. C’est stupide que des personnes scolarisées puissent continuer à négliger les bienfaits ou l’apport de la psychologie dans le bien-être social, familial, conjugal et déjà personnel en 2022. Certains préfèrent même aller se faire duper et ruiner auprès des charlatans et marabouts que d’aller consulter un psychologue pour des soucis et problèmes que la psychologie résout aisément.

Comparativement aux années antérieures, est-ce-que les attitudes vis-à-vis de la prise en charge psychologique évoluent ?

Bien sûr qu’il y a une évolution positive remarquable dans les attitudes des populations vis-à-vis de la prise en charge psychologique. De plus en plus, des gens de toutes les classes sociales consultent ou voient le psychologue. Nous pouvons vous rassurer qu’entre 2002 quand nous faisions nos premiers pas comme thérapeute et 2022, beaucoup de choses ont vraiment changé. Les mentalités ont considérablement évolué et ont d’ailleurs fait sauter beaucoup de préjugés sur le rôle ou le travail du psychologue comme sur la prise en charge psychologique elle-même. Des milliers de camerounais consultent désormais sans gêne ni peur ou honte pour leurs problèmes affectifs, sexuels, conjugaux, familiaux et même pour des difficultés qu’ils rencontrent dans l’éducation de leurs enfants.

De manière générale, dans quelle tranche d’âge se situent la majorité de vos patients ? 

L’âge de la plupart de nos patients oscille entre 15 ans et 50 ans.

Qu’est-ce-qui revient généralement comme problème ? 

Les informations liées à la vie intime de nos patients restent strictement confidentielles, il faut le rappeler ici. Mais de manière générale, nous pouvons dire et relever que les cas les plus récurrents qui viennent à nos services sont les cas de dépression (liée aux échecs, aux déceptions amoureuses, difficultés relationnelles, etc.), les cas de conjugopathie (problèmes de vie conjugale) et aussi d’encadrement des enfants.  

Sur la base de votre observation de la jeunesse camerounaise, de vos recherches et de vos consultations, quel constat faites-vous au sujet de la santé mentale des camerounais en général et de la jeunesse en particulier ? 

La jeunesse est totalement ignorante de la santé mentale. Et pour le bien de tous j’aimerais d’ailleurs d’abord redire ici que la santé mentale n’est pas la maladie mais un état de bien-être général qui permet à un être humain d’exprimer ou de réaliser tout son potentiel physique, intellectuel, affectif, spirituel et de faire face aux défis et difficultés normales de la vie. Et la santé mentale passe absolument par le respect d’une hygiène de vie dont la jeunesse bafoue royalement les règles aujourd’hui.

Cela se voit à travers la consommation des drogues et autres produits stupéfiants en milieux jeunes. Vous verrez d’ailleurs dans les rues, dans les prochains jours, des jeunes gens malades mentaux de plus en plus nombreux. La jeunesse est totalement ignorante au sujet de la santé mentale et c’est pourquoi on enseigne la santé physique ou biologique à tout le monde dès l’école maternelle mais la santé mentale reste la grande inconnue de tous, même des intellectuels. Beaucoup de jeunes pensent encore que la santé mentale c’est la maladie mentale ce qui est archi faux. Ils sont nombreux les jeunes qui ne peuvent pas désigner une seule maladie mentale par son nom.

Beaucoup de jeunes gens ne savent pas qu’une bonne santé mentale passe par une bonne hygiène de vie quotidienne : bien prendre soin de soi, bien dormir, bien s’organiser, bien se construire de l’intérieur, faire attention à ce qu’on mange, éviter la consommation abusive de l’alcool, du tabac ou des stupéfiants de tous genres, éviter de s’exposer aux agressions visuelles, auditives et autres et surtout mettre en place et entretenir une bonne relation avec Dieu et déjà avec soi-même. Devrons-nous encore vous dire que beaucoup de jeunes ne lisent et ne pensent pas ou qu’ils n’ont pas de convictions ? Or, tout cela participe à mettre en place une bonne santé mentale !

Restant fidèle à l’observation objective de la société actuelle, quels sont les facteurs à l’origine des troubles de la santé mentale ? 

Plusieurs facteurs sont à l’origine des problèmes de santé mentale chez nous entre autres : 

– l’ignorance ou la sous-information des populations. La société n’est pas suffisamment sensibilisée ou renseignée par rapport à la santé mentale. Nous dirons même que notre société est bourrée des préjugés au sujet de la santé mentale. Et on continue à enseigner tous les aspects de la santé à l’école, de la maternelle au supérieur,  sauf la santé mentale. 

– Le non-respect ou la négligence des règles d’hygiène de vie mentale ;

– La consommation des drogues et stupéfiants ;

– L’absence au sein de nos sociétés d’un système d’accompagnement ou d’une véritable politique de suivi des personnes dans leurs soucis et problèmes affectifs quotidiens;

– La misère morale, la stagnation des mentalités et même l’obscurantisme;

– Beaucoup d’églises ou de courants religieux sont aussi un moyen d’abrutissement des populations. Certains pasteurs – heureusement pas tous – font croire à leurs fidèles que le bien-être leur tombera du ciel comme la manne.

Comment se manifestent-ils au sein de la société ? 

Le désordre urbain, la violence grandissante en milieu scolaire et en milieu jeune en général, l’augmentation du taux du suicide, l’alcoolisme, la toxicomanie, le grand banditisme, la criminalité, les incestes, les violences conjugales, les nuisances sonores, la violence dans la communication, la crise des mœurs, pour ne citer que ces quelques comportements là, sont quelques manifestations visibles des problèmes de santé mentale au sein de nos populations et de notre société. 

11) Quelles sont les actions à mener pour soigner les camerounais ? 

Nous pensons humblement qu’il faut déjà penser à former, à éduquer et à sensibiliser les jeunes et partant, toute la population, sur les questions de santé mentale. Il faut penser à organiser des échanges avec les jeunes au sein des églises, dans leurs milieux de vie ou de formation, à travers les médias afin de toucher le plus grand nombre pour un changement de mode de vie, des mentalités et finalement des comportements.

12) Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui le nid favori de la recrudescence de la violence psychologique et autres comportements en marge de la morale, ayant des incidences sur la santé mentale de certains internautes. Et en même temps ceux considérés comme bourreaux pourraient également être en réalité des victimes qui expriment leurs frustrations sur d’autres. Dans ce contexte, quelles postures adoptées sur les réseaux sociaux recommandez-vous aux internautes dans une mesure préventive?

Nous devons comprendre que nous sommes tous violents chacun à son niveau et peut-être aussi à son degré. En même temps, nous sommes tous des victimes car la violence, ne l’oublions jamais,  évolue en cycle ou en réseau jusqu’à ce qu’une personne du réseau  ne décide de l’arrêter ou de la stopper à son niveau. La paix, la douceur, la tendresse ou l’amour, dans une société, procèdent d’une éducation, d’une culture. La paix ou la tendresse ne sont pas définitivement acquises. Malheureusement, nous ne sommes pas éduqués profondément à la paix, l’amour, la douceur ou à la tendresse au sein de nos familles et au sein même de notre société.

Nous devons nous dire d’ailleurs et reconnaître que c’est l’absence de ces valeurs vitales qui est l’une des origines de la dégradation de la santé mentale au sein de nos sociétés. Si nous avions quelque chose à dire aux jeunes face aux violences observées sur les réseaux sociaux et même au sein de nos sociétés et familles, nous leur prendrons juste ces paroles du sage Gandhi à ses disciples : « soyez le changement que vous attendez du monde ». Nous leur ferons encore écouter ce discours du pasteur américain Martin L. KING : « si nous n’apprenons pas tous à vivre comme des frères, nous mourrons tous comme des idiots ».

Inversement, les réseaux sociaux n’étant pas foncièrement négatifs, comment peuvent-ils être mis à contribution pour endiguer ce problème ?

Il y a des belles et bonnes choses dans les réseaux sociaux que notre jeunesse peut exploiter positivement pour grandir et se développer sur tous les plans. Seulement il faut savoir faire le tri pour savoir séparer le bon grain du mauvais. Internet est une chance pour nos jeunes, une opportunité pour les sages et les intelligents mais une tombe pour les idiots et nigauds. Grâce au net les jeunes peuvent changer merveilleusement leur vie, se réaliser et construire leur avenir car les portes de la vie qu’internet leur ouvre ne s’étaient jamais ouvertes à leurs parents.

Existe-t-il un ordre des psychologues au Cameroun ? Si oui quelles sont les actions que vous menez quotidiennement pour résorber ce problème au Cameroun ? Si non, comment œuvrez-vous individuellement face à cette problématique ? 

Il n’existe pas encore un ordre de psychologues chez nous au Cameroun mais soyons juste un peu patients, tout ce qui doit arriver finit par arriver un jour. Nous devons tous continuer à travailler chacun où il se trouve, où le bon Dieu l’a planté. Et c’est ce que je me bats humblement à faire moi, chaque jour depuis 20 années aujourd’hui que je suis rentré dans cette noble profession de santé. /.

Merci de votre disponibilité !

Merci à vous aussi pour l’opportunité que vous nous avez offerte de parler de la psychologie, du rôle du psychologue et aussi de la santé mentale au Cameroun pendant la commémoration de la journée qui lui est dédiée. Bon vent et bien de choses à vous et à votre tribune médiatique !

Propos recueillis par Danielle Nganou

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