Fouda Essomba Lucien Yannick fait partie de ces têtes bien faites d’origines camerounaises, qui après un parcours professionnel élogieux dans les entreprises en Europe, ont fait le choix de rentrer au pays, afin de mettre leur savoir dans la création des richesses.
Après avoir travaillé pour une société suisse dont l’activité première consistait à l’achat du cacao en Afrique et en Amérique Sud, le jeune homme a pris sur lui de tout arrêter, et de venir recommencer une nouvelle vie au Cameroun. C’est dans la filière cacaoyère qu’il s’est lancé.Un domaine qu’il maîtrise bien compte tenu de son passé. Seulement, se lancer dans l’entrepreneuriat au Cameroun ne ressemble pas toujours à un long fleuve tranquille. il l’a appris à ses dépens. Dans cette interview ,il revient en quelques mots sur son parcours de la suisse au Cameroun, et des réalités qu’il rencontre au quotidien en tant qu’entrepreneur.
Créee en 2016, la FNA est une jeune association agricole dont l’activité est axée sur la culture du cacao et de la banane plantain. Déjà que signifie FNA ? Et comment ce projet a vu le jour ?
FNA c’est le nom de la structure mais il est vrai qu’il tire son origine des initiales de mes frères et moi (F=Fouda N= Ndongo A=Amougou).
Ce projet est né de mon parcours professionnel. Ayant travaillé dans les sociétés de négoce en Suisse ,on passe du temps à acheter du cacao en Afrique, et Amérique du sud. Je me suis rendu compte des difficultés rencontrées par les acheteurs tels que la traçabilité du produit, le respect des normes, la qualité du conditionnement…etc. tout ceci représente une réelle opportunité dans le marché du négoce.
Me vient donc l’idée de mettre sur pied un produit qui soit maîtrisé de la production à la distribution, pouvant satisfaire à toutes normes et label qui conditionnent déjà le marché de la fève. Le But est simple un acheteur peut décider se rendre sur les sites de productions pour s’assurer de la qualité demandée.
Comment est structuré votre association ?
La FNA est une coopérative avec un conseil d’administration ce qui veut dire
Un président du conseil d’administration
Un secrétaire général
Un trésorier
Un organe de surveillance
Et les adhérents
La coopérative compte 25 membres
Nous avons une structure pyramidale le promoteur, le responsable du site, 5 managers, et deux techniciens agronomes plus les collaborateurs.
Quelle est sa mission première?
Sa mission première est la création d’un réseau de site cacaoyers de grandes envergures (minimum 100 hectares), et le bananier plantain vient en complément.
Le problème souvent évoqué par les entrepreneurs qui veulent investir au Cameroun, est celui du financement. Le vôtre par exemple, comment l’avez-vous financé ?
Oui évidemment l’accès au financement est un gros problème au Cameroun. Dans un premier temps il faut se poser la question si les politiques mises en place par le gouvernement sont déjà comprises par ce dernier avant de parler des moyens d’accompagnement et d’implémentations de ces politiques. Parce qu’on peut même affirmer avec ce qu’on constate que le financement agricole n’est pas une priorité gouvernementale.
Du point de vue des banques, c’est très compliqué je me suis essayé avec la banque des petites et moyennes entreprises, ils ont une façon de faire qui laisse à désirer, ils vous tournent en bourrique pour vous décourager. On gagnerait du temps à dire à un entrepreneur dès le début qu’il ne pourra pas avoir accès aux financements, car le temps est précieux surtout dans l’agriculture.
Bon maintenant en ce qui me concerne, mes fonds proviennent de ce qu’on appelle le love money comme je suis issu de la diaspora, j’ai pu lever des fonds auprès de mon entourage en suisse, jumelés à ma dizaine d’année d’économie pour pouvoir démarrer mon projet. Mais je suis toujours à la recherche d’investisseurs pour atteindre les objectifs dans le moyen et le long terme. En fait, il n’y a pas que l’accès au financement qui soit problématique au Cameroun, il y’a aussi les mentalités, bref le système en soi est un catalyseur à l’entrepreneuriat jeune.
En dehors du financement, il y aussi l’accès aux terres qui pose problème surtout lorsque l’on veut réaliser un projet agricole. Votre association a pu avoir plusieurs hectares de terrain dans deux localités bien distinctes. Avez-vous bénéficié d’un soutien, si oui lequel ?
Bon je dirai que l’accès aux parcelles n’est pas un problème mis à part les soucis liés aux mœurs. Le fait est qu’il faille s’armer de beaucoup de courage pour braver la forêt lorsque l’on veut une bonne superficie agricole.
En revanche, ce qui est un parcours du combattant c’est l’acquisition de la propriété foncière (titre foncier…etc.), et sans cette garantie foncière on n’est pas à l’abri des ennuis (riverains et autres) et même pour être crédible auprès des établissements financiers. En ce qui concerne notre structure, nous n’avons bénéficié d’aucune aide, l’achat des parcelles, les abandons de droits coutumiers tout ceci s’est fait avec nos fonds propres.
Est-ce que vous travaillez aussi avec les planteurs qui ne sont pas dans votre association ?
Oui, dans nos localités respectives nous avons commencé un travail de fond, c’est-à-dire d’éducation et de sensibilisation sur le plan économique, d’où l’importance de se regrouper pour pouvoir négocier les meilleurs prix, comment éviter de tomber sur l’emprise des dettes en appliquant une meilleure gestion des revenus lors des récoltes.
Mais vous savez comme nos sites ne sont pas encore en production du moins pas avant l’année prochaine, nous ne pouvons pas vraiment avoir un réel impact dans certains aspects. A cela s’ajoute la mentalité de l’arrière-pays, beaucoup ne sont pas instruits.
Les autorités vous soutiennent- elles dans votre démarche ? Si oui comment ?
Je dirai pas vraiment, je dirai même pas du tout, j’ai eu à rencontrer le ministre de l’agriculture à deux reprises, mais aucune sensibilité de sa part. J’ai introduit un dossier pour un accompagnement cela fait déjà plus d’un an et demi, ce dossier a parcouru toutes les étapes avec toutes les dépenses que cela comporte, et il est bloqué dans une direction du Minader
« soi-disant on parlera de moi lorsque ce projet sera abouti ».
La question que je me pose : comment comprendre qu’on ouvre l’exercice agricole 2020 en mettant la priorité sur le cacao mais une structure qui possède 110 hectares de cacaoyers, mise sur pieds en moins de trois ans et répartie sur deux sites , laisse insensible le ministère de tutelle ?
Franchement je vous dirai même que les structures étatiques sont un poids pour l’entrepreneuriat au Cameroun, elles ne se mettent pas à la place des entreprises qui ont pris beaucoup de risques. Les structures étatiques n’ont aucune priorité contrairement aux entreprises privées qui ont des cahiers de charges, ces structures sont de véritables catalyseurs pour les entreprises. Je vais vous raconter une situation que je vis actuellement.
En avril 2019 nous avons été contactés par le ministère de l’agriculture afin de leur livrer 50’000 plants. Ce qui représente une valeur 13’750.000fcfa. Figurez-vous que nous nous battons encore aujourd’hui pour obtenir nos paiements. C’est fou qu’une jeune structure comme la nôtre qui ne peut que compter que sur ce genre de produits pour vivre. C’est le ministère de l’agriculture qui encourage l’entrepreneuriat agricole qui est la première entité à nous tuer parce que sans cet argent comment continuer notre projet dans un pays où les financements ne sont pas accessibles ? Voici donc le paradoxe de notre pays.
Au moment où l’on parle de la transformation locale, est-ce que cela fait partie des projets à long terme de l’association ?
Évidemment la transformation est la finalité de notre projet tout ce que nous faisons c’est pour aboutir à cela. Il faut savoir que sur 100 milliards de dollars que le cacao produit dans le monde seulement 6% de ces revenus reviennent à l’Afrique ce qui ne représente pas grand-chose Pour donner une plus-valu à notre fève il faudra passer par la transformation.
Quel est le bilan que vous pouvez dresser de vos activités depuis le lancement du projet ?
En ce qui concerne le bilan nous pouvons relever de nombreuses difficultés liées aux mentalités, au système, aux manques d’infrastructures telles que les voies d’accès…etc. Mais en définitive nous dressons un bilan plutôt positif en trois ans effectifs de travaux un site de 80 hectares mis en valeur dans le Mbam et kim et un autre de 30 hectares dans le Mbam et Inoubou c’est ce qu’il faut retenir.
Nous espérons clôturer le premier site l’année prochaine et si possible passer à 50 hectares sur l’autre site l’année prochaine.
La question de l’emploi des jeunes reste encore de nos jours un épineux problème à résoudre. L’agriculture n’est pas toujours la voie qui attire cette jeunesse, vous à votre niveau est-ce vous avez ce même sentiment ?
Le véritable problème ce sont les politiques mises en place pour accompagner le marché de l’emploi qui sont inertes. Si les mécanismes étaient bien maîtrisés ce ne serait pas épineux au contraire tout est encore à faire chez nous.
» la jeunesse doit savoir qu’elle a sa part de responsabilité. Cette jeunesse doit se battre, elle ne doit pas attendre que tout lui tombe dessus car cela n’arrive jamais, elle doit se prendre en main »
Nous sommes dans un système où on a beaucoup valorisé l’administration au détriment de l’entrepreneuriat il est grand temps de changer de paradigme. Je pense que c’est le moment de valoriser tous les secteurs d’activités en s’inspirant des pays anglo-saxons faire comprendre aux jeunes que travailler dans le secteur privé s’avère plus valorisant car ils sont au cœur de la création des richesses et c’est grâce à ces richesses que notre pays va se développer.
D’autre part je pense que la diaspora a un rôle important à jouer. Celle-ci devrait entreprendre dans les différents secteurs d’activités cela permettrait de lever le tabou sur la valorisation de l’emploi.
Dans mon cas le fait de voir un jeune de la trentaine issu de la diaspora venir s’installer au Cameroun et se lancer dans l’agriculture a permis de mobiliser 25 jeunes autour d’un projet agricole, de les motiver et de leurs faire comprendre les enjeux de l’agriculture dans le développement de notre pays car ce n’est pas anodin de voir un jeune camerounais quitter l’Europe pour retourner faire confiance à la terre .
Voilà une politique serait de pousser la diaspora à revenir s’installer, à investir dans tous ces secteurs d’activités et les prendre comme modèles pour cette jeunesse en manque d’assurance.
À l’endroit de la jeunesse camerounaise, quel est le message que vous pouvez leur adresser ?
C’est vrai, durant cet interview j’ai beaucoup fustigé les politiques mises en place mais la jeunesse doit savoir qu’elle a sa part de responsabilité. Cette jeunesse doit se battre, elle ne doit pas attendre que tout lui tombe dessus car cela n’arrive jamais, elle doit se prendre en main, elle ne doit pas avoir peur de l’échec ni de prendre les risques, elle doit insister dans l’entrepreneuriat malgré les difficultés, ne pas baisser les bras tout faire pour bouger les lignes. Cette jeunesse doit comprendre qu’il lui revient la lourde responsabilité de construire le Cameroun de demain dès à présent.
Charles Binelli