OTS LA TÊTE DE PROUE.

Ces deux fractions à leur tour sont scrupuleusement épiées par un Gouvernement pris au piège d’une situation face à laquelle il est juge et partie.

21 février 2022, les enseignants de l’éducation secondaire, à travers le mouvement On a Trop Supporté « OTS » impulsent l’Opération « Craie Morte » dans le cadre de l’expression de leur mécontentement et de leurs différentes revendications. Quelques semaines plus tard soit le 14 mars dernier, leurs collègues de l’éducation de base les rejoignent à travers l’opération Trop C’est Trop « TCT ». Fort de cette effervescence observée sur plusieurs fronts, les enseignants ont été au centre de toutes les attentions au Cameroun pendant plusieurs semaines, jusqu’à l’observation d’une trêve ayant duré trois semaines. Le 22 avril 2022, ils ont rappliqué due à l’inactivité du Gouvernement face à leurs revendications et ont donné pour mot d’ordre, l’observation à partir du 25 avril de l’Opération « École Morte » en cours d’exécution. 

À cet effet, JDM a entrepris de réaliser une série de trois articles chronologiques sur les questions relatives à l’éducation au Cameroun. Devenir enseignant au Cameroun : le parcours de l’enfer ? Était le premier de la série. Ceci dit, le présent article, second du genre, se penche sur la délicate question de la crise des enseignants au Cameroun. Que revendiquent les seigneurs de la craie ? Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement afin d’apaiser les tensions ? Essai de décryptage. 

OTS : PORTE ÉTENDARD DE CE MOUVEMENT DE GRÈVE.

« On a Trop Supporté » représente un collectif d’enseignant issus de l‘ensemble du territoire national syndiqués ou non, exerçant en milieu urbain, semi urbain et rural. Mouvement acéphale pour des raisons stratégiques, il est constitué en mi-février 2022 dans la région septentrionale du Cameroun. Ce collectif d’enseignants anonymes a adressé le 16 février dernier une lettre ouverte au Président de la République. Deux jours plus tard, une seconde lettre constituant un préavis de grève avait cette fois été adressée au Premier Ministre. Le contenu de ces lettres ayant reçu l’assentiment de plusieurs enseignants, la grève a donc connu un démarrage effectif  à la date indiquée à savoir le 21 février 2022. OTS naît justement parce que les syndicats d’enseignants existants avaient jusqu’ici été pour la plupart amorphes. En effet, l’on note très peu d’actions concrètes implémentées dans le cadre de l’amélioration des conditions des enseignants émanant de ces syndicats. 

LES SYNDICATS D’ENSEIGNANTS AVANT OTS

Avant la mise sur pied d’OTS, il existait plusieurs syndicats d’enseignants du secondaire au Cameroun. Ce sont entre autres le Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l‘Afrique (SECA), le Syndicat National Autonome de l’Enseignement  Secondaire (SNAES), le Syndicat des Enseignants du Supérieur, pour ne citer que ceux-là. Ces syndicats bien entendu ont été créés dans le but de militer pour l’amélioration de la condition des  enseignants du secondaire au Cameroun. Cependant, en termes de faits d’armes concrets, leur impact sur le terrain est assez négligeable. Ils sont pour la plupart très effacés et même que durant cette crise, OTS a très peu bénéficié de leur soutien. Cependant, le Syndicat qui s’est démarqué des autres depuis sa création est le SNAES qui a fait de la réhabilitation de la fonction d’animateur pédagogique son principal combat entre autres. 

CE QUE RÉCLAMENT LES ENSEIGNANTS DU SECONDAIRE

À travers le Mouvement OTS, les enseignants du secondaire expriment leur insatisfaction face à la gestion de leurs dossiers financiers et de carrière par le Gouvernement, ainsi que le silence longtemps entretenu de ce même Gouvernement face à leur lointaine détresse. 

Lointaine détresse en effet… Pour mieux comprendre ce qu’il en retourne, une brève balade dans les archives camerounaises s’impose.   

Le coup de poing de la crise économique 

1987, le Cameroun traverse une crise économique sans précédent. L’État afin d’y pallier entame une cure d’amaigrissement qui a eu de profondes répercussions sur tous les secteurs d’activités connus. La baisse drastique des salaires, la compression et la déflation des personnels du privé et du public sont activement observées. En effet, en 1993, les fonctionnaires camerounais ont connu deux baisses de salaires en l’espace de dix mois. D’abord en janvier puis en novembre. 

 Ramenant ainsi la baisse des salaires à 75% dans l’ensemble de la fonction publique, d’où la clochardisation  du personnel de l’État à partir de cette période. Ceci dit, « un jeune cadre qui avait un salaire de 298 916f CFA non dévalué (1er juillet 1987) gagne en janvier 1994, 102 000f CFA dévalué de 50%. Un commis gagnait alors 15 676f CFA dévalués contre 53 433f CFA non dévalués en 1987». Les enseignants quant à eux n’échappent pas à cette crise car en 1994, les enseignants sortis de l’école percevaient autour de 64 000 FCFA de salaire. 

Des années plus tard, le Cameroun a connu des réajustements et revalorisations salariales, notamment en 1996  et 2008 ; ce qui a permis d’obtenir le net à percevoir dont les enseignants bénéficient aujourd’hui. C’est dire que les fonctionnaires dans l’ensemble et les enseignants pour le cas d’espèce traînent le diable par la queue depuis près d’une trentaine d’années. En effet, ce mouvement social transformé en crise qu’ils observent actuellement n’est pas la première du genre. Plusieurs mouvements de grève ont été menés depuis 1994. Les plus célèbres d’entre elles ont notamment eu lieu au cours de l’année scolaire 2004-2005 pendant laquelle les jeunes enseignants réclamaient non seulement le paiement de leur salaire non perçu depuis deux ans mais également la hausse de celui-ci. Ensuite, l’on a assisté  en 2017 à un autre important mouvement de grève porté par « le Collectif des Enseignants Indignés » lequel présentait les mêmes revendications. Il a bel et bien existé des mouvements de grève avant Craie Morte », cependant, les méthodes pas toujours fructueuses utilisées par les précurseurs de ceux-ci ont favorisé la création d’OTS bien des années plus tard. 

Ce retour dans les archives effectué, l’on retient que la crise observée aujourd’hui est en réalité structurelle et systémique. Au départ, dans la lettre adressée au Premier Ministre, les enseignants à travers le mouvement OTS avaient porté à son attention 17 revendications principales à l’origine de leur mal-être. Il s’agissait entre autres du paiement des arriérés de 25 000 compléments de salaire et 90 000 avancements, la prise en solde immédiate et complète des ECI, le paiement immédiat des rappels de 2/3 des enseignants pris en solde, la suppression des taxes sur le calcul des rappels d’intégration, l’automatisation avec effets financiers des allocations familiales ainsi que des primes de sujétion, etc. Ces 17 revendications dès le départ identifiées se sont avérées être 31 au cours de la conférence de presse interministérielle tenue le 10 mars dernier. 

Il est possible d’observer sur la toile des enseignants tenant des pancartes sur lesquelles sont inscrites leurs revendications personnelles ; c’est par exemple le cas du regretté de mémoire Hamidou, enseignant d’Éducation Physique et Sportive au lycée de Beka dans la région du Nord, lequel sur sa pancarte affichait « sans matricule, 10 ans sans salaire »,  « 11 ans sans matricule, sans salaire » pour cet autre enseignant du Lycée Technique de Poli, « 17 ans sans avancements » etc. Du lycée Manengouba au lycée de Wack en passant par le Lycée d’Ezezang et le lycée de Tiko, les enseignants des quatre coins du pays se sont tous sentis concernés par cette grève, et ont décidé de l’observer de manière pacifique. Aucune descente dans les rues de leur part n’a été signalée jusqu’ici, uniquement le silence de leur colère qui frappe autour d’eux. Cependant le 07 mars dernier, les élèves du lycée de Bonaberi (Mabanda) ont battu le pavé, pancartes en main, réclamant le retour des enseignants dans les salles de classe. 

Un moment de repli provisoire controversé

Pendant cinq semaines, les enseignants ont observé unanimement, avec discipline et détermination, une mobilisation pacifique pour la résolution de leurs revendications et la restauration de la dignité de leur métier. Cependant le lundi 28 mars 2022, le mouvement OTS avec l’approbation d’une fraction des enseignants a décidé d’observer un repli provisoire et de dispenser les cours pendant deux semaines nonobstant le désaccord de certains membres du Mouvement. Cette situation de mésentente n’a pas été sans conséquence sur le capital-confiance accordé à OTS autant en interne qu’en externe, qui a vite fait de rassurer tous les membres à travers un communiqué diffusé le 29 mars soulignant que « cette suspension provisoire est un retour stratégique dans le but de repenser ensemble les nouvelles actions à mener et la meilleure manière de les mener ; ainsi nos problèmes trouveront des solutions immédiates, conciliantes et pérennes ». Et ont par ailleurs invité les enseignants à évoluer avec les programmes d’enseignement et à boucler administrativement ce second trimestre. 

Tout en insistant sur le fait que le paiement des arriérés des droits des Enseignants aux examens OBC et la suppression du système de paiement partiel des salaires des Enseignants ne doivent pas être considérés comme exploit, ils n’ont cependant pas manqué de rappeler les quatre points clés de revendications à savoir : l’automatisation des actes de carrière des Enseignant(e)s avec effet financier immédiat, la création d’une plateforme numérique pour la gestion des affectations et mutations des Enseignants, l’Application totale du statut particulier de l’Enseignant qui a été révisé/actualisé par les Enseignant(e)s, ainsi que le paiement de la dette des Enseignants estimé à 181milliards de FCFA et la suppression immédiate du système de paiement partiel (1/3 et 2/3) des salaires des Enseignant(e)s. 

Ce repli étant provisoire, OTS n’a pas manqué de prévenir qu’en cas d’inertie gouvernementale dûment constatée jusqu’au 24 avril 2022, ce communiqué diffusé le 29 mars fera office de préavis de grève à partir du 25 avril 2022. 

25 avril 2022, nous y sommes !

« Faire confiance à la bonne foi du Gouvernement, et [de] suspendre provisoirement la grève dès vendredi 25 mars 2022 pour « sauver l’école » et nous faire éviter une année blanche. Il y va non seulement de l’avenir de nos enfants et de l’image de notre Chère République. Tout en espérant que les mesures déjà envisagées par le gouvernement seront rendues effectives […] ». Constituaient ainsi les principales raisons de l’observation de cette trêve marquée par les enseignants engagés dans le collectif OTS. Après trois semaines d’accalmie et de retour en classe, le Gouvernement ayant fait preuve d’apathie et n’ayant fait bénéficier aux enseignants que «des hautes instructions  insuffisantes et jamais appliquées », ces derniers ont rappliqué de plus belle en respectant les instructions contenues dans leur communiqué publié le 29 mars qui a justement fait office de préavis de grève. Dès le lundi 25 avril 2022 la grève a repris avec entre autres pour consignes le boycott des examens blancs, des épreuves zéro et le reste des épreuves  séquentielles, la non production des sujets ainsi que la non-surveillance les  évaluations séquentielles, des épreuves zéro et des examens blancs, le boycott des examens officiels/session 2022 en refusant systématiquement toute convocation pour participer auxdits examens, le boycott des épreuves pratiques d’EPS/session de 2022 entre autres. Ces mesures sont une véritable épée de Damoclès qui pèse sur l’avenir des élèves camerounais dont l’année scolaire est gravement menacée et celle-ci ne pourra être sauvée que si les deux parties trouvent un compromis. 

Cependant, il est possible de remarquer, rendu à la deuxième semaine de la mise en œuvre de l’opération « École Morte » que cette seconde phase de la grève n’est pas aussi téméraire que la première. En effet, cet apaisement des enseignants peut non seulement être justifié par la discorde observée dans les rangs lorsqu’une fratrie du Collectif OTS avait décidé en mars dernier d’observer une trêve, mais également par le fait que les mesures instruites par le Président de la République sont progressivement en cours d’exécution. Certains se contentant de ce début de solutions, et d’autres las d’attendre ou craignant des menaces de la hiérarchie, régressent leur enthousiasme. 

TCT ENTRE DANS LA DANSE : LEURS REVENDICATIONS 

« Trop c’est Trop » est l’entité de ralliement des instituteurs (maîtres de maternelle et du primaire) qui ont rejoint leurs collègues du secondaire dans la grève. En effet, depuis le 14 mars les écoles primaires fonctionnent en mode ralenti. Les instituteurs sont eux aussi en colère et réclament de meilleures conditions de vie et de travail consignées entre autres en : le recrutement des instituteurs au sortir des Écoles Normales d’Instituteurs, la réinstauration de la bourse mensuelle d’un montant de 80. 000F CFA pour tous les étudiants élèves-maîtres(se), l’intégration des instituteurs contractuels déjà sur le terrain, l’organisation des états généraux de l’éducation tous les cinq ans pour évaluer l’avancée de l’éducation au Cameroun entre autres. Ces revendications au nombre de 21 sont ainsi adressées au Gouvernement. Leur situation après une rencontre avec le MINFOPRA s’est quelque peu améliorée et les cours de ce côté ont très vite repris, même si les instituteurs sont encore en attente de la résolution de leurs revendications.

Qu’en-est-il des retraités ? 

La souffrance des enseignants ne prend pas fin au terme de leurs carrières. Car une fois à la retraite à partir de 60 ans, ils deviennent des oubliés du système pour la majorité. Le Mouvement OTS a permis de délier les langues en offrant à toutes les catégories d’enseignant une plateforme d’expression leur permettant de présenter le mal-être qui constitue leur quotidien. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, les enseignants retraités, « très malades » pour la majorité sont sortis de leurs réserves et ont fait entendre leur voix par le biais des pancartes présentant leurs situations les unes plus désespérantes que les autres. Il est à cet effet possible de lire « 35 ans de service sans avancement, 14 ans de retraite sans pension », « 38 ans de service sans intégration ni avancement, pas de reclassement pas d’arrêté de retraite », « 11 ans sans salaire ni avancement », « 13 ans de retraite sans pension, pas d’avancement de grade», « 35 ans de service, 15 ans de retraite  sans pension». Ces messages et bien d’autres sont visibles sur les réseaux sociaux, plate-forme d’expression  appréciée par les enseignants dans le cadre de ces revendications. 

LES MESURES GOUVERNEMENTALES FACE AU COLLECTIF OTS

Dans une note signée le 9 mars dernier, le Président de la République sortait de sa réserve et marquait son accord pour la mise en œuvre urgente des mesures financières et administratives visant à résorber la crise des enseignants au Cameroun. Ceci dit, il instruisait au MINFI de procéder au paiement à partir du mois de mars, du complément salarial mensuel à verser aux enseignants (titulaires ou non de décret d’intégration) qui ne percevaient jusque-là que les 2/3 de leur salaire et de l’indemnité de non logement due aux enseignants qui n’en perçoivent pas. Aussi, cette note instruisait l’apurement, à compter du mois de Mai 2022, et de manière progressive, en tenant compte de l’antériorité des promotions, des rappels relatifs à l’indemnité de non logement et au complément salarial dus aux enseignants ; et enfin de procéder au paiement échelonné, à compter du mois de juin 2022, des rappels relatifs aux avancements et au reclassement des enseignants. 

Au plan administratif, il prescrit au MINFOPRA de systématiser la constitution des dossiers d’intégration des enseignants avant la fin de leur formation par les intéressés et les institutions auxquelles ils sont affiliés. Aussi, il devrait désormais procéder, en relation avec le MINESUP, à l’organisation des concours d’entrée dans les ENS et les ENSET, conformément à la réglementation en vigueur. Il est également question de mettre en œuvre toutes les mesures concourant à la dématérialisation et à la simplification des procédures de traitement des dossiers d’intégration dans la fonction publique entre autres. 

Les menaces qui entravent l’observation de la grève

L’on a vu défiler sur la toile, plusieurs communiqués et images dévoilant des intimidations et sanctions dont sont victimes les enseignants engagés dans la lutte pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. De nombreux Chefs d’établissements et Inspecteurs ont proféré des menaces aux enseignants, se servant pour certains des services des forces de maintien de l’ordre.

Plus récemment, le 28 avril dernier en l’occurrence, la MINESEC, sous instruction du Premier Ministre a informé les Délégués régionaux des enseignements secondaires d’acheminer les dossiers des personnels indisciplinés en vue de l’organisation des conseils de disciplines. Dans ce même courrier, il est demandé aux Chefs d’établissements et autres supérieurs hiérarchiques, de servir systématiquement des demandes d’explications aux personnes qui se distinguent par des comportements répréhensibles. La mise en application de ces sanctions reviendrait si l’on se trouvait en droit privé à sanctionner un employé qui exerce son droit de grève. Cette situation permet de poser un regard sur les mesures juridiques prévues dans de tels cas. 

Toujours est-il que l’on observe d’une part, certains enseignants fermement ancrés dans le mouvement de grève et fièrement OTS, et d’autre part certains qui lâchent progressivement prise. Ces deux fractions à leur tour sont scrupuleusement épiées par un Gouvernement pris au piège d’une situation face à laquelle il est juge et partie. 

Danielle Nganou

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