Après 3 ans chez Bolloré Africa Logistic et 13 mois chez Africa Internet Group, vous décidez de tout quitter pour créer Save Our Agriculture… Quel a été le déclic ?
En effet, j’ai toujours envisagé de créer ma propre entreprise. Je pense, au risque de me tromper, avoir toujours été un employé modèle selon les dires de mes collaborateurs. Mais, j’ai toujours su que quelque chose n’était pas à sa place. Ayant grandi en zone rurale, j’ai cultivé une passion pour l’agriculture mais je n’étais pas encore convaincu que cette activité pouvait être une source de revenu à part entière pour un jeune homme comme moi. C’est en me lançant en Avril 2012 alors que j’étais encore employé, que je me rends compte des potentialités de l’agriculture et de sa capacité à transformer l’Afrique.
Était ce un projet sur lequel vous travailliez parallèlement à votre activité de salarié ?
Au départ, j’ai créé une ferme d’élevage de poulets de chair. Mais si je tiens à une chose, c’est de ne pas faire de l’agriculture comme mes grands parents. Car, on a l’habitude de dire chez nous que les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est pourquoi j’ai entrepris en me lançant, de travailler à trouver des solutions innovantes pouvant permettre à notre agriculture de décoller véritablement.
Pourquoi l’agriculture ?
D’abord parce que c’est une passion. Ensuite parce que c’est un domaine qui peut nous permettre de faire vivre des millions de personnes, beaucoup plus convenablement qu’aujourd’hui.
les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est pourquoi j’ai entrepris en me lançant, de travailler à trouver des solutions innovantes pouvant permettre à notre agriculture de décoller véritablement.
Quels sont les obstacles rencontrés lorsqu’on se lance dans ce domaine ? Comment arrivez-vous à les surmonter
Le premier obstacle selon moi, c’est la connaissance technique
la ressource humaine qui travaille aujourd’hui dans l’agriculture a des capacités très limitées. Or, apporter une réelle valeur ajoutée pour faire décoller son activité demande un minimum de connaissances.
Dans mon cas, j’ai du passer un cycle de technicien en agriculture et élevage malgré que je sois déjà ingénieur.
L’accès à la terre et au financement : les mécanismes locaux n’étant pas encore complètement huilés, il peut s’avérer difficile pour des jeunes de faire le premier pas. Mais, je dis toujours que ça ne doit pas constituer un blocage parce que nous avons autour de nous des personnes avec ces moyens financiers et logistiques qui n’attendent que de voir de l’engagement véritable en nous pour nous les proposer, parfois gratuitement. Il faut donc simplement commencer avec vos moyens, et ça va très vite à partir d’un moment.
Le poids des mœurs : à mon avis, est le plus grand frein. Parce que nous vivons dans un monde où les parents et la famille pensent qu’il faut travailler dans une multinationale pour créer de l’intérêt. Mon parcours n’a pas été facilement accepté mais j’ai choisi de penser que ma vie et ma passion devaient compter. Aujourd’hui, les miens l’ont compris et me soutiennent dans cette voix
Y a-t-il une formation à suivre au pays pour travailler dans l’Agriculture ?
Il n’y a pas une formation particulière à suivre. C’est vrai que des écoles plus connues telles que la Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA) de l’Université de Dschang, l’Ecole Pratique d’Agriculture de Binguela existent. Il y a d’ailleurs plus d’une dizaine d’Écoles Techniques et Collèges Régionaux d’Agriculture répartis dans le 10 régions du pays. Mais, il est à mon avis important de mettre en avant l’aspect pratique de l’expérience. A ceux qui veulent se lancer dans l’agriculture, je conseille d’entrer dans le champ le plus tôt possible pour comprendre effectivement ce qui s’y fait. Même si vous n’êtes qu’un investisseur plus tard, vous aurez une meilleure visibilité sur vos actifs
Parlez-nous du « Youth Agripreneurs Project » ? Arrivez-vous à convaincre des jeunes à entreprendre dans le secteur de l’Agriculture?
Le « Youth Agripreneurs Project » est un concours lancé en prélude à la troisième édition du GCARD (Global Consortium for Agricultural Research and Development). Ce concours mondial visait à mettre en avant des innovations de jeunes dans le domaine de l’agriculture, venus du monde entier. Nous avons postulé et fini en huitième position sur plus de 500 candidatures. C’était une fierté, mais surtout une opportunité de constater que notre produit pouvait plaire. C’est ce qui nous a décidé à entrer sur le marché avec nos kits aquaponiques.
Arriver à convaincre des jeunes, progressivement. Je dis toujours à mes cadets et à certains partenaires agriculteurs : « Lorsque nos amis nous verrons arriver en Range Rover à des soirées dans une dizaine d’années, nous n’aurons plus besoin de trop parler ». C’est assez caricatural mais l’intérêt communautaire à l’égard de l’agriculture est de plus en plus grand.
Comment vous est venue l’idée de l’Aquaponie, ce dispositif innovant qui allie agriculture et élevage ?
En fait, l’Aquaponieest une technique de culture qui a fait ses premiers jours sur le continent asiatique il y a plusieurs dizaines d’années. Ce que nous avons fait, c’est lui apporter une touche de jeune en créant des kits à la fois productifs et décoratifs. Mais, il faut dire que l’idée est née de l’envie d’apporter une solution au problème de logistique qui fait que nos aliments coûtent encore excessivement cher en ville. Le pari est presque gagné, mais nous continuons de travailler.
Pensez-vous que l’État soutient suffisamment les jeunes qui se lancent dans ce domaine ?
L’état a mis en place des mécanismes pour soutenir les jeunes. Mais, l’information ne circule pas assez. J’ai envie de dire que les paramètres ont changé entre la mise en place de ces mécanismes et les mouvements actuels. Nous vibrons au rythme d’une agriculture mondiale et innovante. Il est nécessaire qu’un réalignement national s’opère pour que nous ne perdions pas le peloton.
Quels sont les denrées qui ont le plus de succès et sur lesquelles les gens devraient investir ?
Notre besoin en agriculture est immense. Aujourd’hui, je ne saurais vous parler des denrées qui ont le plus de succès. L’expérience ayant montré qu’il vous suffit de produire qualitativement et en permanence pour vendre. Si vous regardez le registre d’évolution des importations au Cameroun, vous constaterez un besoin grandissant autant dans des filières telles que la tomate, les légumineuses que le riz ou le maïs. Le besoin est présent, il ne manque les producteurs et souvent les grandes quantités. A ceux qui veulent investir, je conseillerais de commencer éventuellement par les produits de cycle court si leur trésorerie n’est pas considérable.
Pourquoi un agriculteur devrait vous choisir vous comme collaborateur ?
Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Mais s’il me venait à collaborer avec quelqu’un, je m’assurerais qu’il soit d’abord intéressé par le métier et par sa capacité à apporter quelque chose à notre communauté. Les capitalistes à la recherche du cash à tout prix ne sont malheureusement pas les bienvenus dans mon répertoire.
Les capitalistes à la recherche du cash à tout prix ne sont malheureusement pas les bienvenus dans mon répertoire.
Un message pour les professionnelles de l’agriculture au Cameroun?
Continuons de travailler, mais unissons-nous parce que seul, aucun de nous ne pourra rien changer à ce que nous avons aujourd’hui comme problèmes. Il n’y a qu’ensemble que nous pourrons faire bouger les lignes.
Un message pour la jeunessedumboa ?
Quelques soient les situations que vous rencontrerez dans la vie, dites-vous que vous avez toujours le choix. Et parce que vous en avez la possibilité, faites de votre passion un travail. Ce choix ne dépend que de vous, et vous serez les premiers à jouir du résultat dans une dizaine d’années.
Faites de votre passion un travail. Ce choix ne dépend que de vous
Catherine Assogo & Kate Mouliom