Au début des années soixante-dix, le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement supérieur progresse fortement. Cette progression va être renforcée « avec l’arrivée massive d’étudiants en provenance des anciennes colonies. »
Les années soixante-dix marquent un tournant dans la progression de la population étudiante en France. Cette période correspond à « une période de massification et de mutation profonde des effectifs universitaires. »
En 1974, avec l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing et la crise liée au choc pétrolier de 1973 les réactions homophobes et l’arrêt de l’immigration ont lieu, « en juillet 1974, le gouvernement français annonce la suspension provisoire de l’immigration » . Mais paradoxalement, malgré la décision du gouvernement de suspendre l’immigration, les étudiants étrangers voient leur nombre augmenter considérablement (44100 en 1970/1971 à près de 135 000 en 1984/1985) . Cette période, marquée par la suspension de l’immigration correspond pourtant à une « période de massification de la population étudiante »
Les étudiants alors arrivent en grande quantité et non plus sous la forme d’élites destinées à être formées en France afin de retourner dans leurs pays . Les étudiants arrivent alors comme une immigration réelle , un peu comme l’est l’immigration du travail . Immigration du travail à laquelle celle des étudiants se substitue d’ailleurs en partie . Cette immigration est aidée par l’arrivée massive des étudiants provenant des anciennes colonies ,
« le taux d’accroissement au cours de cette période d’étudiants originaires des anciennes colonies de la France sur le continent africain sont spectaculaires : +473% contre +198% pour les ressortissants de pays du continent européen. »
Cette arrivée massive va faire réagir les autorités publiques qui vont mettre en place des politiques publiques. C’est là réellement le tournant de la question de l’étudiant étranger en France. Ainsi, l’image positive dont jouissait alors les étudiants étrangers va se dégrader obligeant en quelque sorte les pouvoirs à mettre en place des mesures contraignantes et restrictives. Néanmoins, « leur effet n’aura que peu de conséquences sur les effectifs d’étudiants étrangers. Les mesures prises ont pour effet de simplement limiter la progression pendant une courte durée et de provoquer une « légère baisse en 1980/1981 (-1,25%) »
En 1981 avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterand et des socialistes, les effectifs d’étudiants connaissent une forte croissance et ce jusqu’en 1984. A partir de cette même année, la part des étudiants étrangers connaît une baisse qui peut être expliquée par le fort essor quantitatif qu’ont connu les universités de 1984 jusqu’à peu près au milieu des années quatre-vingt-dix.
Mais les années soixante-dix restent un tournant important dans le traitement de la question des étudiants étrangers. Apparaît alors la logique du soupçon.
L’étudiant étranger – principalement originaire des pays dits du Sud – jouit d’une image très positive jusqu’au début des années soixante-dix. Le fait d’accueillir les étudiants originaires des pays nouvellement indépendants est « présenté par les autorités publiques comme un élément de la politique de prestige de la France. L’étudiant étranger est jugé comme répondant aux intérêts de la France dans ses relations internationales […] Cette ouverture idéologique se traduit par une politique d’accueil et un statut juridique extrêmement libéraux » . L’étudiant étranger est à ce moment un élément du rayonnement de la France qui fait tout pour les attirer et les conserver.
Néanmoins et au fil du temps, l’immigration des étudiants n’est plus seulement une immigration souhaitant former des élites mais une immigration de masse issue d’un grand nombre d’étudiants souhaitant poursuivre leurs études et surtout « « l’incapacité de leurs universités (dans les pays d’origine à y répondre »
En 1974, la publication du rapport Dischamps marque véritablement l’apparition du sujet de l’étudiant étranger.
« Dans ce rapport, pour la première fois les étudiants étrangers apparaissent non plus comme « les acteurs du rayonnement de l’Université française », mais comme « une menace contre son prestige ». Ils sont présentés comme une « charge » pour les universités, en termes d’effectifs mais aussi en terme de qualité car « ils font baisser le niveau »
Les étudiants étrangers qui ici sont mis en cause « sont bien évidemment, ceux venus des pays du Tiers-Monde et non pas ceux venus des systèmes éducatifs équivalents. » . La distinction est donc clairement faite entre d’un côté les étudiants issus des pays pauvres qui sont une charge et posent problème et de l’autre les étudiants originaires des pays développés qui ne sont en rien une charge ni un problème .
Ce rapport émet comme proposition de mettre en place une sélection avec en prime l’idée de favoriser les étudiants « en provenance de la Communauté économique européenne et des grands pays à technologie avancée » avec lesquels « la réciprocité des avantages » peut être obtenue et de limiter l’accès des étudiants du Tiers-Monde au premier cycle »
Il y a un changement radical dans la représentation. L’étudiant étranger africain n’est plus un élément du rayonnement de la France mais plutôt un fardeau pour cette dernière. Ce virage dans la représentation conduit à une politique plus restrictive envers les étudiants étrangers. Notamment avec une circulaire qui rend la pré-inscription obligatoire alors que celle-ci ne l’était pas. Cette circulaire est la circulaire n° 77-524 du 12 Décembre 1977 dite circulaire « Bonnet » dans laquelle « les étudiants étrangers sont pour la première fois considérés comme « une catégorie particulière d’immigrés plus que comme une catégorie particulière d’étudiants ».
Ce changement dans la représentation de l’étudiant issu des anciennes colonies s’accentue encore dans les années 78 avec l’intervention de Mme Saunier-Seïté alors Ministre des Universités qui désigne clairement les étudiants des pays non développés comme public cible des nouvelles mesures restrictives. Cette stigmatisation affichée va renforcer la dégradation de l’image de l’étudiant étranger en France.
Comprendre les conditions d’accueil des étudiants étrangers suppose de comprendre l’évolution des migrations étudiantes en particulier mais aussi des migrations en général. Les conditions d’accueil des étudiants étrangers n’ont pas toujours été comme aujourd’hui. Certains diront qu’elles étaient meilleurs ou pires avant et d’autres penseront le contraire. Le propos ici n’est pas de voir quand est ce que il y a eu « l’âge d’or » des migrations étudiantes en France, si tant est que cet âge d’or ait existé, mais plutôt de voir que migrer en France n’a pas toujours répondu aux mêmes démarches. Ainsi comme le précise Abdelkader Latreche (chercheur associé à l’Institut Maghreb-Europe, Paris- VIII) « les migrations étudiantes résultent de l’interaction de facteurs culturels, sociologiques, historiques et politiques. Fondamentalement déterminée par les proximités géographiques et linguistiques, cette mobilité évolue aussi en fonction des contextes économiques – chocs pétroliers, montée du chômage – et géopolitiques dans le monde. Une augmentation considérable de la circulation de ceux-ci amène les pays ayant une tradition d’accueil, comme la France, la Grande- Bretagne, les États-Unis, l’Australie… à revoir leur politique d’accueil des étudiants étrangers, une question désormais indissociable de celle des migrations internationales »
Yann Elimbi