Harcèlement sexuel au Cameroun : une gangrène qui prospère en toute impunité

Pire, elles se pavanent en toute liberté sans être inquiétées par quoi que ce soit, en faisant encore d’autres victimes sur leur chemin parfois avec la complicité de certaines personnes. Une double peine pour les victimes qui non seulement doivent vivre avec ce traumatisme et faire profil bas de peur d’être livrées au regard méprisant de la société.

Le nombre de cas de harcèlement sexuel recensé jusqu’ici, montre à suffisance l’incapacité des autorités à faire face à ce fléau qui ronge la société camerounaise, car le mal est très profond. 

Même s’il est encore difficile de relever le nombre exacte de personnes qui sont victimes de harcèlement sexuel au Cameroun, la probabilité d’être en face d’une statistique qui fait froid au dos n’est pas à exclure, car ce qui est certain, la pratique ne date pas d’aujourd’hui. Elle est bien ancrée depuis des années dans la société en bénéficiant du mutisme des victimes et de leur entourage. Cependant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de dénoncer leurs bourreaux. Le fait est que les personnes souvent reconnues coupables de harcèlement sexuel ne sont presque jamais punies par la loi.

Pire, elles se pavanent en toute liberté sans être inquiétées par quoi que ce soit, en faisant encore d’autres victimes sur leur chemin parfois avec la complicité de certaines personnes. Une double peine pour les victimes qui non seulement doivent vivre avec ce traumatisme et faire profil bas de peur d’être livrées au regard méprisant de la société.  

Selon le Code de procédure pénal, le harcèlement sexuel est puni par l’article 302-1 du Code pénal, qui stipule que: quiconque, usant de l’autorité que lui confère sa position, harcèle autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est passible d’une peine d’un emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de cent mille (100 000) à un million (1 000 000) de francs. (2) La peine est un emprisonnement de trois (03) à cinq (05) ans, si la victime est une personne mineure. (3) La peine est un emprisonnement de trois (03) à cinq (05) ans, si l’auteur des faits est préposé à l’éducation de la victime. Sur les faits, on est encore très loin de la réalité. Le manque de rigueur laisse le champ libre aux prédateurs sexuels qui s’adonnent sans aucun remord à leur sale besogne. Quand bien même les faits sont rapportés aux autorités et que les concernés sont des personnes influentes. Cela prend parfois des proportions énormes au regard des enjeux parfois diplomatiques. On peut citer par l’exemple l’affaire de l’ex-directeur général d’Orange Cameroun qui est accusé de harcèlement sur une de ses employés. Depuis qu’une procédure judiciaire a été lancée contre lui, jusqu’à ce jour il est difficile de savoir à quel niveau elle situe vraiment. Ce n’est pas la seule dénonciation qui est mise sur la place publique, il y en a plusieurs mais à chaque fois les auteurs ne font pas face à la justice. À l’exception du cas du célèbre journaliste sportif Martin Camus Mimb qui a eu procès qui s’est soldé par une condamnation. Soucieux de leur réputation par peur du scandale qui pourrait arriver si jamais elles citées dans une affaire de mœurs, d’autres personnes optent pour un arrangement à l’amiable avec la victime ou sa famille.

Le harcèlement sexuel continue de gagner du terrain au Cameroun faute d’accompagnement ou encore de soutien envers les victimes. Il existe très peu de cellules de prise en charge pour les personnes qui ont subi un harcèlement sexuel. Ces lieux qui sont censés permettre aux victimes de suivre une thérapie afin de se remettre progressivement et d’avoir le courage de dénoncer les coupables ne sont pas subventionnés. Celles qui existent font face à de nombreux soucis, mais évoluent malgré tout avec les moyens qui sont à leur disposition. C’est le cas par exemple de ces quelques activistes camerounais à l’instar de l’écrivain Felix Mbetbo, Minou Chrys tayl ou encore Laetitia Tonye Loe qui utilisent les réseaux sociaux pour dénoncer le plus souvent les personnes citées dans les affaires de harcèlement. Leurs actions sont louables, mais il y a encore du chemin à faire. Au Cameroun, on a encore du mal à accepter qu’une personne puisse dire qu’elle est victime de harcèlement sexuel. Le plus souvent elles font l’objet d’une campagne de dénigrement auprès des personnes qui ont pourtant rôle de leur apporter l’assistance dont elles ont besoin. C’est la raison pour laquelle lorsqu’il y a une dénonciation, on a toujours du mal à croire la victime, et les coupables s’en sortent plutôt bien. 

Tant qu’il n’y aura pas une véritable révolution des femmes camerounaises sur la question du harcèlement qu’importe la forme qu’on peut lui donner, la situation ne pourra pas changer de sitôt. Un point de vue que partage le professeur Viviane Ondoua Biwolé dans les colonnes du magazine Jeune Afrique

« Les femmes me semblent quelque peu résignées. Elles n’ont pas encore réalisé que la lutte contre le harcèlement sexuel est un combat dont elles devront se saisir. Même les associations de lutte contre les violences faites aux femmes hésitent à s’en emparer. Tant que le combat restera confidentiel car reposant sur des initiatives individuelles, tant qu’il ne sera pas porté par des mouvements, il sera perdu d’avance ».

Pour l’expert en management, les femmes doivent mettre en place des plateformes qui ont la capacité de pousser les dirigeants à prendre en considération leurs revendications. Malheureusement ce n’est pas quelque chose qui risque d’arriver maintenant. Le harcèlement sexuel est un tabou au Cameroun, les personnes qui essayent d’en parler sont réduites au silence ou encore victime de stigmatisation. Le plus curieux c’est que cela vient souvent de certaines femmes qui ne veulent pas qu’on parle. Lorsqu’il y a eu des mouvements à travers le monde pour dénoncer le harcèlement sexuel dont étaient victimes les femmes. On a pas vu le même son de cloche du côté de  l’Afrique ou encore du Cameroun en particulier où pourtant ses faits sont récurrents. 

La faute aussi à une culture qui a réduit la femme africaine au rôle de faire valoir. Si le combat sur la parité entre l’homme et la femme a encore de beaux jours devant, c’est parce que dans les sociétés africaines on estime que la femme n’a pas les mêmes droits que les hommes. Et ça part déjà là-bas. Dès le bas âge, on ne montre à certains enfants garçons d’avoir du respect pour la gente féminine. En grandissant, il cultive cette notion de domination et de légèreté envers la femme. C’est aussi cette approche qui explique la facilité avec laquelle un homme peut faire des attouchements à une femme sans gêne. Certaines n’en parlent pas souvent par pudeur,  ou encore parce que cela fait partie des codes de la société pour faire la cour à une femme.

Une réflexion que partage Suzanne Kalla Lobe « Il y a chez nous quelque chose de plus libéré. Une femme peut accepter qu’on lui touche la fesse, parce que ça fait partie des codes de la sexualité ». C’est justement à cause de se laisser que la banalisation du harcèlement sexuel a gagné du terrain au point où il est difficile même pour certaines femmes de prendre position. La solution est donc entre les mains des femmes camerounaises qui doivent mener ce combat jusqu’au bout. 

Charles Binelli

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