Une grève de médecins qui remet en lumière le problème du matricule au Cameroun

C’est bien beau de vouloir un matricule, mais est-ce que certains mesurent le sacrifice qu’ils doivent faire ?

Avoir un matricule à la fonction publique camerounaise est un véritable chemin de croix pour tous ceux dont le rêve a toujours été d’être fonctionnaire. En attente de ce sésame depuis leur fin de formation, près de 700 médecins sont descendus dans les rues de Yaoundé pour faire entendre leur calvaire aux autorités compétentes. Malgré la présence policière, ils ont réussi à faire passer leur message. Une manifestation de plus qui suscite des interrogations sur la politique du gouvernement qui semble avoir des difficultés dans la gestion des dossiers d’intégration de nouveaux fonctionnaires.  

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C’est un groupe de 700 médecins au total qui a pris d’assaut les rues de la capitale politique à Yaoundé, il y a de cela quelques jours pour exprimer leur ras-le bol. Il était composé de chirurgiens, de dentistes… tous formés dans les facultés de médecine au Cameroun promotion 2013-2020. Le but de leur revendication portait principalement sur leur dossier d’intégration dans le fichier solde de l’État qui n’aboutissait pas. Leur recrutement en tant que fonctionnaires est jusqu’à ce jour bloqué sans avoir aucune explication. Un statut qu’ils devaient normalement bénéficier une fois la formation achevée. Les multiples promesses formulées à leur endroit sept ans après leur sortie sont restées sans suite. De quoi mettre leur patience à rude épreuve. C’est donc dans un élan de désespoir qu’ils ont décidé d’aller vers qui de droit porter une fois de plus leurs réclamations, notamment le ministère de la santé et le premier ministère, malgré la présence policière qui a été déployée sur les lieux de la contestation. Ils se sont faits entendre, tout en espérant avoir un début de solution à leur situation précaire.

Le processus d’intégration dans la fonction

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Cette sortie des médecins qui a fait les choux gras de l’actualité au Cameroun, n’est pas la première ni certainement pas la dernière. C’est aussi un moyen de pression qu’ils ont trouvé pour pousser les autorités à trouver les voies et les moyens pour en finir avec cette question d’intégration qui ne date d’ailleurs d’aujourd’hui. Et cela est d’autant plus surprenant, parce qu’il existe une procédure administrative qui permet de constituer son dossier d’intégration sans trop de difficulté.

Cependant, il y a plusieurs mécanismes pour intégrer la fonction publique : il y a le recrutement direct ou spécial comme celui des 25 000 et le recrutement par voie de concours. Pour le deuxième cas puisque c’est lui qui au centre des débats aujourd’hui. Les candidats sont appelés dans un premier temps à rédiger  une demande timbrée au ministre de la fonction publique et de la réforme administrative.

Celle-ci sera suivie des pièces telles que une copie conforme des diplômes académiques et professionnels, une attestation de présentation des diplômes, une copie certifiée de l’acte de naissance, l’avis du concours, le curriculum vitae, un extrait du casier judiciaire numéro 3, deux fiches de renseignement, un engagement décennal, l’acte de mariage, un certificat d’expertise médicale, certificat d’individualité, un certificat de nationalité, la décision ou acte portant ouverture du concours, le communiqué des résultats du concours, le procès-verbal de sortie, un certificat de prise de service. Une fois que toutes les pièces ont été vérifiées et validées au niveau du ministère de la fonction publique, il revient maintenant au premier ministre de signer le décret d’intégration. Sur sa page Facebook, le ministère de la fonction publique a mis en ligne un contenu vidéo expliquant comment les dossiers d’intégration sont gérés à chaque étape une fois qu’ils sont reçus. Mais la réalité est tout autre. 

Combien gagne un fonctionnaire ?

Un accord annoncé entre la Cemac et la France pour passer du franc CFA à  l'éco - Investir au Cameroun

Ce n’est pas un secret de polichinelle, en matière de salaire au Cameroun, les fonctionnaires sont les moins nantis. Par rapport à certains pays africains, ils sont vraiment à la traîne. Dans le public, le salaire est évalué en fonction des différentes catégories notamment les catégories A, B, C E et D. Ainsi, pour un médecin débutant qui est classé en catégorie A2, indice 650, il percevra à la fin de chaque mois un salaire de 247 704 FCFA.

Notons au passage que c’est le plus haut grade dans la fonction publique. Par contre celui qui est classé dans la catégorie A1, il touchera une somme avoisinant 170 000 FCFA. Des montants jugés très insignifiant par les syndicats des médecins qui se battent pour la revalorisation de ce salaire à hauteur de 500 000 FCFA pour un début. Même si celui-ci ne reflète pas leurs années d’études, ce montant pourra tout moins leur permettre de vivre décemment. 

En Côte d’Ivoire par contre, le salaire des médecins a connu une augmentation, il est passé de 325 000 FCFA à 775 000 FCFA, les agents techniques de la santé ont également bénéficié de cette hausse de salaire. Avant ils touchaient 222 000 FCFA, presque le même  montant qui est versé aux médecins au Cameroun, puis ils sont passés à 375 000 FCFA. Au Sénégal, un médecin généraliste touche 680 000 FCFA et le spécialiste 780 000 FCFA. Un grand écart avec ce que touche un médecin au Cameroun à compétence égale. 

L’utopie des réformes dans le domaine de la santé

En mai 2016, des experts ont rédigé un document stratégique avec pour mention Mise en œuvre du projet de la réforme hospitalière. Ces travaux ont été initiés par le ministère de la santé publique. L’objectif était de proposer de nouvelles approches en ce qui concerne le fonctionnement des hôpitaux au Cameroun. La demande en soins de santé s’étant agrandie, celle-ci a eu pour incident la création de nouvelles structures sanitaires.

C’est ainsi que depuis 2015, le Cameroun totalise 2387 formations sanitaires publiques. Au nombre de ceci on retrouve 07 hôpitaux généraux de niveau un, 08 hôpitaux centraux de niveau deux, 14 hôpitaux centraux de niveau trois, 143 hôpitaux de districts de niveau quatre, 234 centres médicaux d’arrondissement de niveau cinq et 181 centres de santé intégrés de niveau six. 

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Malgré tous ces investissements importants, le système sanitaire au Cameroun reste toujours préoccupant. Parmi les suggestions des experts, la question du recrutement dans la fonction publique était a été martelé avec beaucoup d’insistance. De leurs avis, le déficit en ressource humaine est l’un des premiers problèmes qui plombent véritablement la réforme du secteur sanitaire au Cameroun. C’est d’autant plus étonnant lorsqu’on voit des médecins s’indigner sur le fait qu’ils ne sont pas recrutés, alors qu’il y a un problème de sous-effectif. 

Le privé une solution d’emploi pour les médecins

Au Cameroun, en dehors de certaines unités sanitaires qui fonctionnent dans l’illégalité, on dénombre plus de 500 établissements privés reconnus par la santé. Et la majorité de ceux-ci sont basés dans les grandes villes comme Douala, Yaoundé et Bafoussam.

À côté, il y a aussi les congrégations religieuses qui ont un patrimoine important en termes d’établissements de soins de santé. En 1992, l’église catholique comptait 179 centres de santé parmi lesquels 8 hôpitaux. Les protestants quant à eux pointaient avec 140 établissements de soins, dont 31 hôpitaux.

Aujourd’hui, ces chiffres sont à la hausse au regard de l’évolution de la société. Et c’est aussi une opportunité pour les médecins nouvellement sortis des facultés qui peuvent aller proposer leur service en attendant éventuellement l’aboutissement de leur dossier d’intégration. Dans le privé, les médecins  gagnent plutôt bien leur vie surtout ceux qui sont à la tête d’un établissement sanitaire. Cependant, le privé a aussi ses réalités.

Beaucoup ont toujours tendance à croire que, tous les médecins dans le privé roule carrosse, ce qui n’est toujours pas le cas. Certes il y des opportunités d’emploi, mais la rémunération dépend en grande partie du prestige de l’hôpital et du nombre de patients qu’il peut recevoir en moyenne le mois. En ce moment, Les salaires peuvent être doublés voire triplés par rapport à ceux qui sont pratiqués dans le public. 

État des lieux sur le nombre de médecins au Cameroun

Pour un domaine aussi sensible, la politique du gouvernement camerounais en matière de recrutement de ses professionnels a toujours été fortement décriée, pas seulement par les associations des médecins comme le SYMEC ( Syndicat des Médecins du Cameroun), mais aussi par les populations qui payent le prix fort de ce dysfonctionnement. Dans les zones reculées, les populations sont parfois obligées de faire des kilomètres pour trouver un médecin, car la plupart d’entre eux préfèrent rester dans les grandes villes par rapport aux opportunités qu’ils ont de se faire beaucoup d’argent. 

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Selon les informations relayées par le site Medcamer.org, 7200 médecins du privé sont inscrits dans le fichier de  l’ordre des médecins du Cameroun, contre 2100 médecins faisant partie de la fonction publique pour une population de 25 876 380 millions d’habitants. D’après un rapport du PNUD datant de 2009, on comptait au Cameroun 0,1  médecin pour 1000 habitants, soit un médecin pour 10000 habitants. Un taux qui est très faible par rapport à la norme fixée par l’organisation mondiale de la santé (OMS) qui est d’un médecin pour 5679 habitants. 

La conception du fonctionnaire, une idée révolue

Malgré les mauvaises conditions de travail décriées, la fonction publique continue toujours de faire rêver. Et certains ne cachent pas leur ambition de faire uniquement carrière dans le public. Allez savoir pourquoi. C’est bien beau de vouloir un matricule, mais est-ce que certains mesurent le sacrifice qu’ils doivent faire ? Pas vraiment.

Il faut déjà savoir que, la conception qu’on a toujours eu du fonctionnaire exemplaire avant n’existe plus ; c’est-à-dire celui qui était au service de la nation, qui travaillait pour le peuple et qui avait une moralité irréprochable est une espèce rare de nos jours. Aujourd’hui on est en face d’un autre type de fonctionnaire qui a plutôt un désir ardent de s’enrichir et cela par tous les moyens sur le dos des autres. Les mêmes qui veulent être intégrés dans la fonction publique, sont très souvent les premiers à se démarquer par des pratiques honteuses. 

Pour arrondir leurs fins de mois, certains médecins dans le public n’hésitent pas à aller offrir leur service dans le privé vu que là-bas ils gagnent plus. Une absence qui est souvent préjudiciable lorsqu’il faut gérer un cas urgent.  Il n’y a qu’à voir comment la prise en charge des malades se déroulent dans certaines formations sanitaires pour comprendre que certains sont là pour leur intérêt personnel. Au-delà des expériences malheureuses qui se passent dans les établissements sanitaires, il y a encore les médecins qui ont le sens du sacrifice, même s’ils doivent accepter un misérable salaire à la fin de chaque mois. Voilà la réalité du fonctionnaire au Cameroun. 

Charles Binelli

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