Prix du journaliste de l’année aux Drum Awards 2023, trois Shorty Awards en 2022 il doit ses nombreuses distinctions à son reportage « Cameroun, terre d’hospitalité. Remy Nsabimana est un rwandais d’origine et camerounais de cœur. Réfugié de guerre, il fera toutes ses études au Cameroun où il sortira diplômé de l’ESSTIC (Ecole Supérieure de Sciences et Techniques, de l’Information et de la Communication) en 2013. Il rejoint la chaîne camerounaise Voxafrica l’année suivante avant d’être appelé à la BBC un an plus tard. Depuis 2019, il est producteur et présentateur pour la chaîne qatari AJ+ Afrique et il ne cesse de marquer les téléspectateurs et les internautes de son empreinte remarquable au timbre de sa voix, la qualité des contenus et l’impartialité dans le traitement de l’information. Panafricain dans l’âme, il œuvre pour une information utile et sans détours sur les questions du continent et l’édification de tous. Nous l’avons rencontré et il nous parle de son parcours, ses projets et sa vie de journaliste d’impact.
11 ans après vos premiers pas dans le journalisme, quel est le sentiment qui vous anime lorsque vous regardez vos accomplissements? Êtes-vous satisfait de votre parcours? Est-ce celui que vous aurez espéré?
Je suis content de mon parcours mais je ne pourrai dire que c’est ce dont j’avais espéré, cela voudrait dire que je lis l’avenir ce qui n’est pas le cas, mais je pense avoir au-delà de ce que j’aurais espéré. J’ai traversé des moments assez difficiles dans mon enfance. Vivre dans des camps de réfugiés et être exilé ont amené une partie de moi à perdre espoir à un moment donné. Je suis passé de: est-ce que je vais survivre aujourd’hui à est-ce que je vais aller à l’école et est-ce que je vais pouvoir travailler à est-ce que je pourrais être un bon journaliste. Ce que j’ai aujourd’hui un bonus, quoique je souhaite le meilleur pour moi, ça reste au-delà de mes attentes.
Il se dit que vous êtes plus camerounais que les camerounais et vous alimentez bien ce point de vue puisque ne cessez de clamer l’humanité et la bienveillance du peuple camerounais à qui vous êtes reconnaissant”. Qu’est-ce que le Cameroun représente pour vous? Juste une terre d’accueil?
Plus Camerounais que les Camerounais je ne pense pas. Le Cameroun représente mon pays d’adoption. C’est le pays qui m’a recueilli, m’a nourrit, m’a hébergé, m’a éduqué, c’est le pays qui m’a fait. Après le Rwanda, je suis camerounais. Quand je viens au Cameroun je me sens plus chez moi que lorsque je suis au Rwanda. Le Cameroun représente toute ma vie, tout ce que mon pays n’a pas su m’offrir c’est-a-dire un avenir.
Comment avez-vous fait pour aimer un métier qui au départ ne passionnait pas?
J’ai appris à l’aimer, j’en suis même tombé amoureux parce que je me suis convaincu que ça allait être le métier de ma vie. Au départ je n’appréciais pas ce métier parce que pour moi les journalistes bavardaient à longueur de journées et n’apportent vraiment rien de particulier. Lorsqu’après mon baccalauréat l’ami de mon grand frère et ma professeure de français m’oriente vers ce métier parce que me trouvant éloquent, je me suis dit qu’il fallait lui trouver quelque chose à aimer, un point positif. En creusant, je me suis rendu compte que c’est un métier qui a beaucoup à apporter à la société et dans ma quête de savoir ce qu’était le journalisme, son apport dans la société que j’en suis venu à l’aimer. Quand je dis que c’est une relation d’amour, ça n’a pas été un coup de foudre mais une relation construite avec le temps en essayant de le connaître, de savoir quel rôle il pourrait jouer dans ma vie et surtout quel genre de journaliste je pourrais devenir.
Dans votre recherche sur la valeur du journalisme, qu’avez-vous découvert, quel genre de journaliste souhaitez-vous être ?
Je veux être un journaliste qui a de l’impact dans la vie des gens. Ça ne m’intéresse pas de dire aux gens, le président Paul Biya a dit ci ou alors le soleil s’est levé aujourd’hui à l’est. Qu’est ce qui a de l’impact dans le quotidien des gens, quel est le plus qui que je peux leur apporter?
A la BBC à 23 ans, vous avez “commencé là où les autres terminent”. Racontez-vous votre séjour à la BBC. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué? Quel moment (souvenir) chérissez-vous le plus? Avez-vous eu des up and down? Comment avez-vous vécu votre départ? Que retenez-vous de cette expérience?
J’arrive à la BBC complètement par hasard. J’étais à Vox Africa lorsque j’ai reçu la proposition du rédacteur en chef de la BBC Afrique alors que dans mes plans, j’allais envisager postuler dans un tel média au moins après 10 ans d’exercice m’a laissé sans voix. A l’époque je n’avais pas de papier, je travaillais au Cameroun sans avoir de passeport ou de pièces d’identité et aussi marrant que cela puisse être, il m’a été plus difficile d’aller prendre fonction à la BBC que d’y obtenir un travail. Je suis arrivé à Dakar et je devais présenter les éditions d’informations BBC matin et BBC midi et là il y a tous les regards sur moi parce que je trouve des personnes très anciennes qui ne comprennent pas pourquoi un petit de 23 ans, a peine sortie de l’école vient présenter le journal et ça a été beaucoup de pression parce que je prouver que je méritais ma place. Cela m’a également encouragé à travailler beaucoup plus dur parce que je devais convaincre et les premières semaines ont été les plus difficiles, après c’était un vrai défi pour moi et rien ne me stimule plus que ça a également été de belles années d’apprentissage et par la suite on m’a demandé si je ne voulais pas créer ma propre émission ‘’Afrique Avenir’’ qui a très bien marché et qui existe encore. Après j’ai rejoint la BBC à Londres pour travailler à la télévision et ça a été une full expérience de différents genres journalistique sur différents médias parce que je travaillais pour la télévision, la radio et mon podcast. Cette expérience a beaucoup apporté à ma carrière et je serais toujours reconnaissant à BBC et Voix Africa pour la chance qu’ils m’ont donnée mais la BBC m’apporte le côté professionnel nécessaire pour que je tape a l’œil d’AJ Afrique par la suite.
Les premiers jours ont été les plus marquants, les nuits blanches au studio pour préparer la matinale, mon émission dans laquelle j’ai reçu beaucoup de jeunes entrepreneurs africains et voir revenir me dire comment leur passage à mon émission avait boosté leur projet me donnait le sentiment d’utilité. Je suis partie avec la boule au ventre, déjà parce que je laissais mon bébé [mon émission] et aussi parce que la BBC m’avait beaucoup apporté, étant à l’apogée de ma carrière dans ce média, Mais il fallait que j’explore d’autres horizons et surtout, je voulais avoir le champ libre pour pouvoir m’exprimer selon ma perspective des choses, avoir une liberté de ton, de traitement d’information, de moyens et de ce fait avoir plus d’impact. Généralement, avec les gros médias, le ton est assez carré et je voulais exprimer les choses telles que je les voyais.
Le 28 octobre 2016, le premier épisode de “Afrique Avenir” était publié avec pour invité Kelly Adediha. Comment d’épisodes en as-tu au total? Quel (s) est (sont) l’invite (s) qui t’as (ont) le plus marqué? Pourquoi?
Honnêtement, je n’ai pas de chiffres exacts mais des centaines. Quant à ceux qui m’ont marqué, il m’est difficile d’en dégager un ou deux noms. Je pourrais les classer par domaine mais toujours, il est difficile de faire un choix tant tous étaient assez i impactant et innovateur. C’est un exercice auquel je ne souhaite pas me plier.
Vous êtes passionné par l’entrepreneuriat qui reste votre première option après le journalisme. Dans quel(s) domaine(s)souhaitez-vous entreprendre?
Vous allez peut-être rigoler, mais pour moi c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. Ce sont des airs de jeux. De petits stades de foot et autres sports. Le principe est simple, vous faites une réservation de votre tranche horaire sur une application et les 14 premières personnes à réserver sur un terrain qui joue à 7-7 forment deux équipes de 7 personnes pour cette heure de jeu par exemple. Moi je voudrais acheter chez moi au Rwanda des terrains et y construire des terrains de foot et basket louables. Les terrains de foot ce sera pour avoir assez fonds pendant que le terrain prend de la valeur et par la suite y construire des maisons et basculer dans l’immobilier. Également un studio de production, lorsque j’arrêterais le journalisme, qui va proposer des correspondances aux médias et produire d’autres contenus pour d’autres plateformes.
Raconte-nous ton arrivée à AJ+ Afrique.
Comme pour la BBC, j’ai reçu le coup de fil de la rédactrice en chef d’AJ+ qui me proposait de rejoindre la rédaction pour le compte d’AJ+ Afrique. Après avoir pesé le pour et le contre, j’ai décidé de les rejoindre. Pourquoi ? Déjà AJ+ est un média digital et j’avais la possibilité de participer à tout le processus de traitement d’information parce que là-bas, c’est moi qui propose le sujet, le pitch à la rédaction et ensuite participer à la réalisation du sujet ce qui n’était pas le cas à la BBC où ne présentait que l’information. Aussi, AJ+ est anti-impérialiste et colonialiste et donne la parole à la victime. Le traitement de l’information est beaucoup objectif puisque j’ai une liberté de ton ce qui n’était pas le cas à la BBC. Le classicisme du journalisme qui est parfois dépourvu d’humanité m’intéressait moins. En tant que panafricaniste je voulais pouvoir m’exprimer et dire les choix tels quelles et de façon objective.
9)- Pourquoi était-il important pour toi de produire le documentaire “Cameroon, land of Welcome”?
Le Cameroun n’est pas seulement le pays qui m’a accueilli, c’est aussi le pays qui m’a fait. Lorsqu’ on observe l’actualité, on se rend compte que le migrant est considéré comme un danger, un envahisseur surtout dans les pays occidentaux. Moi ayant vécu toute ma vie en tant que réfugié dans un pays qu’on appelle le Cameroun et qui reçoit cinq fois plus de réfugiés et de déplacés que certains pays européens comme la France qui se plaignent tous les jours, c’était pour moi un devoir de raconter mon histoire. C’était aussi pour moi-même, ma reconnaissance pour tout ce que le Cameroun m’a donné et à tous ceux qui comme moi sont des réfugiés tant rwandais, centrafricains et autres qui ont eu un chez eux, la possibilité d’avoir une nouvelle chance dans la vie. Je voulais raconter mon parcours au travers de la vie des jeunes qui vivaient encore dans les camps de réfugiés. Je devais rendre à César ce qui lui appartient même si je sais que ce n’est pas suffisant mais il fallait que je montre ce visage du Cameroun, terre d’accueil et de refuge qui a redonné une nouvelle vie a de millions de personnes étrangères.
êtes-vous retourné au Rwanda et à Cyangugu depuis votre départ?
Je vais au Rwanda au moins chaque année. C’est une façon pour moi d’apprendre à connaître et à aimer à nouveau mon pays et de finalement me réconcilier avec lui parce que quelque part, je lui en veux de ne pas être le pays qui m’a fait grandir. Je lui en veux pour le génocide, les guerres civiles qui ont suivi mais j’essaie de réapprendre à le connaitre et me reprendre racine dans cette patrie qui reste toujours la mienne.
“Je rêve d’une épouse qui complétera mes nombreuses insuffisances. Qui m’aidera à gommer mes défauts.” Se sont vos mots rapportés par nos confrères de LeBledParle en 2016. L’avez-vous déjà trouvé?
Je ne l’ai pas encore trouvé. Je pense que pour trouver l’âme-sœur il ne faut pas être sous la pression du temps. Je maintiens ce que j’ai dit mais en attendant j’essaie de m’améliorer et d’être une personne meilleure afin d’être un bon père et un bon mari.
Aujourd’hui tu es un journaliste internationalement reconnu, plusieurs fois primé et une référence pour les jeunes. Que pourrais-tu dire au jeune Rémy de 17 ans qui venait d’obtenir son Baccalauréat et qui ni passion ni perspective d’avenir?
Je dirais à ce Remy d’écouter son cœur surtout mais aussi son professeur de français et l’ami de son frère qui lui conseillait de faire du journalisme. Si c’est un autre jeune de 17 ans qui rêve de suivre mes pas, je lui dirais de se poser la question suivante : quel type de journaliste je veux être ? Je pense qu’aller à l’école de journalisme et sortir avec son diplôme, ça ne suffit pas. Il faut être plus, chercher à avoir une plus value et être utile à la société et savoir comment l’on veut que les autres se souviennent de nous. Il faut marquer les gens et son époque.
Nadia Ed